Contrairement à une idée reçue, le « management » n’est pas né dans le monde de l’entreprise, mais dans la sphère domestique. Selon le sociologue Thibault Le Texier 1, le verbe anglais « to manage », utilisé depuis le 16e siècle au moins, désigne à l’origine le fait de prendre soin de personnes dépendantes – enfants, écoliers, personnes âgées… –, mais aussi d’animaux de ferme et d’élevage par exemple. On en retrouve d’ailleurs aujourd’hui la trace dans le mot français « ménagerie »… Les premières méthodes préconisées restent très générales et valorisent la bienveillance au détriment de la discipline. Au 19e siècle, les industriels s’approprient le terme pour évoquer la maintenance dans les usines et y ajoutent une notion de contrôle. Les travailleurs, désormais employés et ne possédant plus les outils de production, doivent se plier à une organisation plus stricte et codifiée. L’enjeu est surtout de lutter contre les aléas et d’obtenir un rendement plus stable, d’améliorer les techniques et les outils, les « managers » se souciant alors peu des questions d’encadrement.
Entre 1880 et 1920, cependant, des industriels et ingénieurs – aux premiers rangs desquels Frederick W. Taylor – imaginent un « management scientifique », dédié à la standardisation et à la rationalisation de l’encadrement. Selon eux, les entreprises restent mal gérées parce que les relations personnelles y occupent encore trop de place – ils fustigent par exemple les dirigeants recrutant des parents ou amis pourtant incompétents… Ces relations traditionnelles doivent donc être remplacées par des systèmes de contrôle indirect, plus neutres et objectivables. La fameuse chaîne de montage, futur symbole du fordisme, permettant de décomposer l’activité, de la contrôler et de la rationaliser à l’extrême, est née de cette ambition. Le rendement doit être maximal, et l’efficacité devenir une fin en soi, analyse T. Le Texier. Dès le début du 20e siècle, un gourou du management scientifique américain, Harrington Emerson, annonce que l’efficacité ne doit plus être jugée en termes de moralité, mais l’inverse : il faut apprécier les normes morales en fonction de leur utilité pratique et de leurs résultats.
Process et développement personnel
Selon le sociologue Daniel Mercure 2, ce modèle taylorien puis fordiste domine jusqu’aux années 1970-1980. Le travailleur type est un ouvrier spécialisé mais interchangeable, confiné à des tâches standardisées – sur une chaîne de montage par exemple – et motivé par des récompenses extrinsèques comme le salaire. Depuis, cependant, la tendance est à l’individualisation. Le marché économique est devenu plus complexe, instable et diversifié. On attend donc des travailleurs – même des moins qualifiés – qu’ils fassent preuve de davantage d’autonomie, d’implication et d’innovation. Les services de gestion oscillent alors entre une conception restée instrumentale mais à la carte – variabilité des systèmes de rémunération, des modalités d’exercice du métier… – et certaines formes de développement personnel ayant l’épanouissement en ligne de mire. Cette ambivalence est renforcée au début des années 2000 par l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Historiquement, rappelle T. Le Texier, le management taylorien repose sur le remplacement de relations personnelles par des systèmes de médiation plus standardisés et uniformisés. Or c’est précisément une promesse des outils informatiques : les relations y sont dépersonnalisées, mesurables, calculables, objectivables… ouvrant la voie à une approche plus technicienne de l’humain.