Il était une fois une grande entreprise (ce pourrait être une banque, une entreprise de fabrication de meubles ou une administration publique, peu importe) bien installée sur la place. Durant les trente glorieuses, l’entreprise a prospéré. Cette période faste a permis aux salariés de conquérir des avantages : conditions de travail, salaires et droits divers. Puis, durant les années 1980, un nouveau type de management s’est installé. Finis le contrôle taylorien sur le travail, les hiérarchies pesantes, le poids des petits chefs ! L’heure était désormais à l’autonomie des équipes et des individus. Les problèmes d’organisation du travail devaient être réglés par la communication et le dialogue, par la responsabilisation plutôt que par les mesures autoritaires. Puis vient la crise, et avec elle la nécessité de réorganiser l’entreprise pour diminuer les coûts de production, améliorer la qualité de service, affronter une concurrence plus sévère. Une nouvelle direction est nommée. Elle demande aux cadres intermédiaires de mettre en place une nouvelle organisation du travail, plus efficace, plus flexible et moins coûteuse.
Seulement voilà : les cadres ont depuis quelque temps déjà perdu le contrôle du travail. Les salariés, les équipes, les services ayant conquis leur autonomie sont devenus de petits bastions fermés sur eux-mêmes formant une « organisation en silos ». Pour ces cadres désormais éloignés de la production, il est devenu très difficile d’ouvrir la boîte noire du travail, de savoir ce qui s’y passe et de réorganiser les tâches. Le management a perdu le contrôle de l’entreprise… L’encadrement de proximité, désemparé, se demande comment faire pour « reprendre la main ». Plusieurs stratégies sont offertes. L’une consiste à édicter et mettre en place des procédures d’évaluation sous forme d’objectifs chiffrés ou de procédures, ou encore de consignes sur la qualité des produits, sur le service du client. Mais ces règles, souvent éloignées du travail de terrain, sont souvent détournées, peu appliquées, sans que les cadres aient vraiment la capacité de vérifier ou de contrôler les résultats. Bien sûr, on a mis en place des réunions pour expliquer les objectifs, convaincre, séduire. Mais l’appel à la bonne volonté, les injonctions volontaristes et la culpabilisation ne semblent pas avoir d’effet durable. Devant son incapacité à convaincre, parfois, un cadre prend une mesure brutale et arbitraire qui ruine d’un seul coup l’attitude bienveillante qui a prévalu jusque-là. Au bout du compte, les salariés sont mécontents, les cadres désabusés et la direction dépossédée de la maîtrise de son organisation. Puisque l’organisation semble incapable de se réformer, la solution qui se présente alors est de se tourner vers l’extérieur, en faisant appel à l’intérim ou à la sous-traitance. Là, les rigidités sont moins fortes, on accepte de travailler plus pour moins cher, et la main-d’œuvre est plus flexible, pouvant être gérée avec souplesse en fonction des carnets de commandes.