18 novembre 1965, université de Lancaster, Pennsylvanie (États-Unis). Pauline Leet, jeune enseignante, utilise pour la première fois le terme « sexisme » face à ses étudiants. Elle désigne ainsi le comportement d’historiens qui n’évoquent pas dans leurs travaux les femmes. Le terme est forgé par analogie au racisme, ce dernier se définissant comme l’idéologie de la supériorité d’une race sur les autres 1. Dans les deux cas, on se fonde sur un attribut physique visible (le sexe ou la couleur de peau) pour attribuer à un individu des attitudes souvent dévalorisantes, supposées à tort communes à ceux qui partagent cet attribut physique. Le sexisme repose sur des stéréotypes.
Le terme se popularise sous l’influence des mouvements féministes dans les années 1970. En France, dès 1973, la revue Les Temps modernes fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir publie des « Chroniques du sexisme ordinaire ». Pourtant, la notion ne suscite pas l’engouement des chercheurs français jusqu’à récemment. Ces derniers, pris dans la tradition positiviste, préfèrent débusquer les différences entre les femmes et les hommes dans les faits (salaire, répartition des postes, carrière). Ils délaissent l’étude des stéréotypes transmis par les discours, à l’origine du sexisme.
Histoire du sexisme au travail
Aujourd’hui, le sexisme reste un illustre inconnu dans le monde du travail : un mot répandu, un mot-valise qui sert à désigner une palette de comportements allant de la blague sexiste jugée inoffensive, voire réputée mettre de l’ambiance au travail, au harcèlement sexuel, condamné par la loi.
Timidement, des psychologues, sociologues et psychosociologues tentent de préciser ses formes et ses limites, les évolutions récentes et l’impact sur les pratiques professionnelles quotidiennes.
Le sexisme est difficile à appréhender car, subjectif, il est aussi évolutif. En France, les travaux qui y sont consacrés demeurent relativement récents, ce qui rend difficile une analyse historique. Par contre, en Amérique du Nord, depuis le milieu du 20e siècle, des études de psychosociologues mesurent l’évolution des stéréotypes de sexe. L’un des outils les plus employés est l’échelle AWS (attitude toward women scale), définie dans les années 1970. Elle mesure les stéréotypes en demandant aux sujets d’identifier des caractéristiques propres aux femmes ou aux hommes. Progressivement, de plus en plus de sujets refusent de répondre, constatent les chercheurs. Le phénomène révèle une évolution majeure : le refus d’attribuer des comportements spécifiques selon le sexe. Confrontés par ailleurs à l’émergence de nouvelles réactions comme le déni des discriminations envers les femmes ou l’illégitimité des politiques destinées à les combattre, les psychosociologues adaptent leurs outils en s’inspirant de ceux utilisés pour mesurer le racisme. Ils utilisent par exemple l’échelle du « néosexisme » créée par la psychologue canadienne Francine Tougas et son équipe 2.