Les neurosciences, un empire...contesté

Face à l’intense curiosité publique et scientifique qui se manifeste pour les sciences du cerveau, des chercheurs s’interrogent : sont-elles vraiment en mesure de combler tous les espoirs que l’on place en elles ?

Trois milliards de dollars sur dix ans pour cartographier le cerveau humain : c’est le projet que le président des États-Unis, Barack Obama, s’apprêterait à soumettre incessamment au Congrès. Une ambition scientifique qui détone pour le moins en cette période de récession, et qui semble justifiée par les potentielles retombées qu’une telle percée du savoir pourrait avoir sur le traitement de maladies telles qu’Alzheimer ou Parkinson, ainsi que sur les progrès de l’intelligence artificielle – et, naturellement, par l’activité économique qui pourrait en découler. Mais sans doute faut-il également voir dans cette annonce une réponse au Human Brain Project, que vient de décider de financer l’Union européenne. Présenté par une coalition de 80 institutions internationales, ce projet, qui ambitionne de parvenir à une simulation informatique du cerveau humain, recevra un milliard d’euros sur une décennie.

L’annonce de tels projets révèle la force d’attraction qu’ont acquise au cours des dernières décennies les neurosciences. Grâce notamment aux techniques d’imagerie cérébrale, les progrès de la connaissance des mécanismes du cerveau ont entretenu la promesse de révolutionner notre approche de phénomènes psychiques tels que la cognition ou la mémoire, mais aussi de révéler les fondements naturels de capacités sociales telles que l’attachement, l’empathie ou la confiance – sans parler, naturellement, des espoirs qu’ils suscitent dans le traitement des maladies mentales. Des espoirs qui ont fait sortir les neurosciences de l’espace confiné des laboratoires pour envahir la vie sociale. On ne compte plus désormais les articles de presse se faisant l’écho (avec plus ou moins de déformations…) des dernières recherches montrant comment l’activité et la structure du cerveau permettent de comprendre nos choix électoraux, notre préférence pour les bons d’achat par rapport aux cadeaux (!) ou de prédire la durée de nos relations amoureuses.

L’action politique y perçoit une possibilité de renouveau. Le Centre d’analyse stratégique (CAS), organisme gouvernemental, a développé depuis 2009 un programme « Neurosciences et politiques publiques », qui explore ce que les sciences du cerveau peuvent apporter au « management du risque », aux campagnes de prévention en santé publique (obésité, tabagisme…) ou encore comment les résultats des travaux scientifiques dans ce domaine pourraient transformer l’exercice de la justice (détection de mensonge, révision de la notion de responsabilité individuelle…).

Les sciences de l’homme elles-mêmes, enfin, ont été touchées, à des degrés divers, par la neuromania. La neuroéconomie, par exemple, est un domaine florissant qui étudie expérimentalement les conduites économiques (achat, investissement, arbitrages…) des individus, et vient souvent démentir les postulats théoriques de l’économie mainstream sur la rationalité des acteurs. La neuropsychologie étudie, elle, le rôle des lésions cérébrales dans le vaste domaine des troubles de la perception, du langage ou de la mémoire. Une multitude d’autres tentatives d’hybridations ont eu lieu, mais gardent pour l’essentiel un caractère exploratoire ou expérimental : neurohistoire, neuropédagogie, neurothéologie 1