Déficiences intellectuelles : Origines multiples pour troubles divers
Désormais, on ne parle plus de « retard mental » mais de déficiences intellectuelles ou développementales. Un enfant est considéré comme déficient intellectuellement lorsqu’on constate un fonctionnement intellectuel inférieur par rapport aux autres enfants de son âge. Ce déficit survient en général précocement. Pour le diagnostic, on utilise des tests de QI mais également d’autres instruments qui décrivent le degré d’autonomie et d’adaptabilité de l’enfant. Ainsi l’échelle de Vineland consiste à interroger un proche de l’enfant sur ses compétences dans la vie quotidienne (sa capacité à se nourrir seul, se laver seul, s’habiller seul), sur ses capacités de communication (écouter, parler, écrire), ses compétences motrices ou relationnelles. Combinés, les résultats permettent d’établir la gravité du déficit (de léger à profond).
« Les causes des déficiences intellectuelles sont multiples », explique Michèle Carlier (1), professeure de psychologie à l’université Aix–Marseille-I. Sociales et éducatives (un grand manque de stimulation, par exemple) d’abord, mais surtout biologiques. Les causes prénatales – génétiques (trisomie 21, syndrome de l’X fragile…), expositions à des toxiques pendant la grossesse… – représentent en tout une bonne moitié des cas de déficience intellectuelle ; à lui seul, le syndrome d’alcoolisme fœtal ne touche pas moins de 1 à 3 bébés pour 1 000 naissances. Il faut aussi compter avec les causes périnatales (prématurité, anoxie périnatale…), que l’on retrouve dans 12 % des cas, et postnatales (par exemple, des infections, comme les encéphalites et les méningites…) qui en expliquent 5 %. Pour près d’un tiers des sujets, la cause reste inconnue (2).
NOTES
(1) M. Carlier et C. Ayoun, Déficiences intellectuelles et intégration sociale, Mardaga, à paraître en octobre 2007.
(2) Coll., Déficience et handicaps d’origine périnatale, Inserm, 2004.
Les classifications internationales
Déficiences intellectuelles, dyslexie,hyperactivité, autisme ne sont pas les seuls troubles du développement de l’enfant. S’y ajoutent la schizophrénie infantile, les troubles anxieux, les troubles dépressifs,les troubles du comportement alimentaire,les troubles de l’humeur… Ces troubles font l’objet de plusieurs classifications internationales. Les principales sont le DSM-IV-TR (Diagnostic and Statistical Manualof Mental Disorders, version 4 révisée) de l’Association américaine de psychiatrie,et la CIM-10 (Classification internationaledes maladies, version 10) de l’Organisation mondiale de la santé.
À lire
• Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
Bernadette Rogé et Henri Chabrol (dir.), Belin, 2003.
Autisme : une autre intelligence
L’autisme, longtemps considéré en France comme un trouble psychiatrique – une psychose infantile –, est à présent classé parmi les troubles cognitifs. Plus précisément, parmi les troubles envahissants du développement (TED), puisqu’il touche toute la sphère psychique. Trouble relativement rare atteignant un enfant sur 1 000, il se définit par l’apparition, avant l’âge de trois ans, de la célèbre triade établie par Léo Kanner en 1943 : perturbation des relations sociales, de la communication et du comportement. Il existe d’autres TED (voir cartouche ci-dessous), qui en tout affectent un enfant sur 165 environ. Seule une moitié des autistes présente des déficiences intellectuelles, la seconde constituant le groupe des autistes de haut niveau (voir cartouche ci-dessous), comme l’explique le psychologue Laurent Mottron, de l’université de Montréal. Pour lui, l’intelligence des autistes est surtout « inhabituelle », et les tests classiques « incapables d’en rendre compte » (1).
Les causes ?
Les théories neuropsychologiques à ce trouble se sont succédé à partir des années 1980. Une des premières postule un dysfonctionnement spécifique du langage. Un peu plus tard, on propose que les autistes sont incapables de comprendre les intentions des autres – une faculté appelée « théorie de l’esprit » qui, normalement, se met peu à peu en place chez l’enfant. D’autres estiment que l’autiste présente un déficit de traitement des informations relatives aux êtres humains, qu’il a du mal à imiter les autres, qu’il ne parvient pas à reconnaître les visages (identité et émotions), ou encore qu’il ne traite pas de façon différenciée les personnes et les objets. Autre hypothèse : les autistes seraient des experts du détail, au détriment des traitements globaux plus adaptés à la vie quotidienne. Autant de pistes qui semblent confirmées par les récentes études d’imagerie cérébrale.
Et sur le plan génétique ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas « un » gène de l’autisme, mais plusieurs. Combien ? Le généticien Pierre Roubertoux rapporte que les estimations publiées tournent autour de 12 à 15 gènes « de susceptibilité » (2). Dans ce domaine, Thomas Bourgeron et son équipe, à l’Institut Pasteur, sont à la pointe. En 2003 et 2006, ils repèrent des mutations altérant plusieurs gènes impliqués dans la formation des synapses, les zones de communication entre les neurones. En 2007, ils identifient deux nouveaux gènes de susceptibilité, dont l’un code une protéine impliquée dans la synthèse de mélatonine, une hormone connue pour réguler les rythmes veille/sommeil !
C’est en comprenant mieux ces troubles que l’on peut espérer les guérir. Lancé début 2007, l’Autism Genome Project, qui va réunir toutes les forces existantes, est pour Bernadette Rogé (3), psychologue spécialiste de l’autisme à l’université Toulouse-II, un « immense espoir ». Pour sa part, elle forme des médecins au diagnostic précoce de l’autisme, et développe des méthodes de prises en charge plus adaptées, centrées sur les points faibles et forts de chaque enfant. Car si ces méthodes ne permettent pas de guérir l’autisme, elles permettent au moins d’en alléger les symptômes.
NOTES
(1) L. Mottron, L’Autisme : une autre intelligence, Mardaga, 2004.
(2) P. Roubertoux, Existe-t-il des gènes du comportement ?, Odile Jacob, 2004.
(3) B. Rogé, Autisme, comprendre et agir, Dunod, 2003.
Rett, Arperger…, les troubles envahissants du comportement
L’autisme infantile fait partie des troubles envahissants du comportement (TED). On trouve dans cette famille l’autisme atypique (qui survient après trois ans, ou dont le tableau n’est que partiel), le syndrome de Rett (qui atteint principalement les petites filles), le trouble désintégratif de l’enfance (qui se caractérise par une régression tardive après une période de développement normal).
Il existe aussi le syndrome d’Asperger, décrit en 1944 mais tombé dans l’oubli jusqu’au milieu des années 1990. Il se rapproche du tableau clinique de l’autisme de haut niveau, avec des centres d’intérêt restreints, des activités répétitives, une maladresse motrice, mais un bon développement intellectuel et linguistique, chaque signe étant plus ou moins marqué selon les personnes. Il arrive que certaines compétences soient exceptionnelles (calculateurs et mémorisateurs prodiges, don pour les langues).
Certains psychiatres considèrent que le syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau sont deux entités cliniques distinctes, d’autres qu’on peut les placer le long d’un continuum d’un trouble unique. En l’état des connaissances, difficile de savoir qui est dans le vrai. Tout ce que l’on peut dire, c’est que les gènes de susceptibilité identifiés aujourd’hui sont impliqués dans les deux tableaux.
Dyslexie : Quand le cerveau ne peut pas lire
7 à 8 % des enfants seraient dyslexiques, selon la dernière expertise de l’Inserm (1). Malgré une intelligence vive, parfois supérieure à la moyenne, ils semblent incapables d’apprendre à lire, devenant d’une incroyable maladresse, butant sur chaque syllabe, mélangeant les sons, devinant sans réfléchir. Et finissent par se décourager, désespérant parents et enseignants.
Pourtant, contrairement à ce qu’on a longtemps prétendu, la dyslexie n’est pas un simple blocage psychologique : l’enfant ne refuse pas de lire, il ne peut tout simplement pas. Pour Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, l’origine cérébrale du trouble ne fait aucun doute (2). Il rappelle qu’au début du xxe siècle, les découvreurs de la dyslexie voient en elle une pathologie essentiellement visuelle, la « cécité visuelle congénitale », consistant en une confusion de lettres (surtout celles se ressemblant en miroir, comme « b » et « p », ou « b » et « d »). Aujourd’hui, les recherches s’orientent plus vers un trouble du décodage phonologique. « La majorité des enfants dyslexiques souffrent de déficits de compréhension des sons de parole, voire même de troubles fondamentaux de la perception auditive », explique le psychologue. Ce qui ne peut que poser des problèmes pour associer le graphème (l’unité de son écrite) et le phonème (l’unité de son prononcée).
Oui, mais voilà… environ un quart des dyslexiques présentent un déficit visuel prononcé sans trouble phonologique évident. En fait, il n’existe sans doute pas une cause de la dyslexie, mais plusieurs : « Il semble y avoir une double fragilisation au confluent de certaines voies de reconnaissance visuelle et de celles du traitement phonologique du langage parlé », précise S. Dehaene. L’imagerie cérébrale montre en effet une sous-activation de la région temporale postérieure gauche chez les dyslexiques. Parallèlement, l’aire de Broca (l’aire du langage, située dans le cortex frontal inférieur gauche) est suractivée, comme si l’enfant cherchait à pallier une lecture non automatisée par des efforts conscients et volontaires.
Si l’on pousse les recherches, l’analyse anatomique fine de certaines aires suggère un problème de migration des neurones : ces derniers n’occuperaient pas les bonnes places, d’où les déficits. Cette migration est sous contrôle génétique : « La mise en place de l’apprentissage de la lecture est un chantier compliqué : qu’une pièce manque et l’édifice s’écroule ! », assure le chercheur. Quelles sont les pièces manquantes ? Quatre gènes seraient déjà identifiés, dont l’un semble impliqué dans la formation du corps calleux, la structure reliant les hémisphères cérébraux. D’autres facteurs de risques environnementaux et sociaux semblent également impliqués.
Il ne faudrait pas croire que ces ex-plications neurobiologiques sont des condamnations sans appel. « Chaque apprentissage modifie la biologie de notre cerveau : il est possible d’utiliser ses capacités plastiques, ainsi que ses multiples réseaux redondants », affirme S. Dehaene. Des stratégies efficaces de rééducation cognitive existent. Elles visent à accroître la conscience phonémique à l’aide de manipulation de lettres et de sons. Pas de miracle : leur succès est proportionnel au temps consacré. Mais la grande majorité des enfants dyslexiques peut ainsi apprendre à lire, même si c’est avec un décalage par rapport aux enfants du même âge. « En définitive, c’est un grand message d’espoir qui émerge de ces travaux », conclut S. Dehaene.
NOTES
(1) Inserm (expertise collective), Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie. Bilan des données scientifiques, 2007.
(2) S. Dehaene, Les Neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007.<
Une dyslexie chinoise
Pour apprendre à lire, les enfants chinois doivent mémoriser plus de 3 000 caractères. Pour cela, ils s’aident de schèmes moteurs, mémorisant les mouvements qu’ils réalisent pour écrire. Une technique bien différente de l’association phonème-graphème utilisée dans les écritures alphabétiques. La forme de dyslexie qui atteint les Chinois semble plutôt graphomotrice que phonologique.
À lire
• Les Neurones de la lecture
Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2007.
Les troubles des apprentissages
La dyslexie fait partie des troubles des apprentissages (parfois surnommés les dys-). Ceux-ci se séparent en troubles de la communication (dysphasies…) et troubles spécifiques de la lecture (dyslexie),de l’expression écrite (dysorthographie) et du calcul (dyscalculie).
Hyperactivité : du normal au pathologique
Si les termes abondent pour désigner l’hyperactivité (impulsivité, instabilité psychomotrice, hyperkinésie, turbulence, opposition infantile…) le DSM-IV-TR parle de trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité (TDA/H). Il donne une liste de neuf symptômes d’inattention (« se laisse facilement distraire »…), et neuf d’hyperactivité (« se lève souvent en classe »…) et d’impulsivité (« interrompt souvent les autres »…), les deux facettes étant nécessaires au diagnostic. Statistiquement, il y aurait au moins un hyperactif dans chaque classe, puisqu’on estime que la prévalence du trouble est de 7 à 8 %. Pourtant, aux États-Unis, sous la pression des laboratoires, relayés par les demandes des professeurs et/ou des parents, pas moins de 20 % des enfants reçoivent les fameux médicaments Ritaline et Concerta. Trois fois plus qu’il ne le faudrait. « Outre-Atlantique la mode semble être au diagnostic et au médicament facile », explique le psychiatre Jean-Charles Nayebi, auteur d’un ouvrage sur le sujet (1). Pourquoi ? Entre autres parce que les parents, « souvent malmenés par l’état de leur enfant, qui paraît mal élevé aux yeux de l’entourage », « ont tendance à culpabiliser ». Et parce que l’appréciation de ce trouble est subjective, avec un continuum entre normal (l’enfant « raisonnablement » agité) et pathologique (l’enfant hyperactif). La relative fréquence des comorbidités (les troubles associés), comme les troubles oppositionnels avec provocation (30 % des hyperactifs), les troubles des conduites (25 %), les troubles de l’humeur (18 %), ne facilite pas le diagnostic.
Et en France, qu’en est-il ? Pour l’instant, la Ritaline est plutôt un échec commercial. D’abord parce que parents et médecins ne poussent en général pas « à la consommation », ensuite, parce que la première prescription ne peut être faite que par un psychiatre ou dans un service hospitalier.
L’origine de ce trouble est pour l’instant inconnue (2). Les interprétations psychanalytiques étant aujourd’hui nuancées, une des pistes majeures favorise l’hypothèse d’un dysfonctionnement d’origine génétique au niveau d’un transmetteur, la dopamine (aussi engagée dans la maladie de Parkinson). On ne sait toujours pas pourquoi les garçons sont 3 à 9 fois plus touchés que les filles.
NOTES
(1) J.-C. Nayebi, L’Hyperactivité infantile en 40 questions, Retz, 2006.
(2) Pour en savoir plus, voir aussi C. Bert, « Hyperactivité : que sait-on vraiment ? » Sciences Humaines, n° 168, février 2006.
Hyperactivité et troubles des comportements
Il ne faut pas confondre l’hyperactivité avec les troubles des comportements : troubles des conduites (TC) et troubles oppositionnels avec provocation (TOP) (1). Les TC se définissent comme l’ensemble de conduites répétitives et persistantes bafouant les droits fondamentaux des individus et les normes sociales ; les TOP comme l’ensemble des comportements provocateurs, désobéissants et hostiles avec toute forme d’autorité.
NOTE
(1) Voir l’article de X. Molénat, « Bébés bientôt sous contrôle ? », p. 72.