La « belle vie », tout le monde la désire, non ? Pour soi, pour ses enfants et ses proches, voire pour l’humanité entière. C’est le « souverain bien » selon Aristote. Celui dont on rêve de trouver enfin la formule.
Mais où la trouver ? Au-delà dans le salut, ou ici-bas dans le bonheur terrestre ? Dans les joies simples de la vie (un petit nid douillet pour le confort, un conjoint, une famille et des amis pour le réconfort) ou dans l’accomplissement d’un grand projet (aller au bout de ses passions et de ses rêves) ? Les promesses de belle vie ont fait couler beaucoup d’encre, commettre bien des folies et ont produit bien des déceptions.
Au cours des siècles, prophètes, philosophes, politiciens, psychologues (aujourd’hui même les économistes s’en mêlent) ont proposé une riche panoplie de formules censées conduire à la félicité.
Dans un passage de la Bible, il est dit que la sagesse « a construit sa maison autour de sept piliers » mais sans préciser lesquels. On peut reprendre la métaphore et raconter l’histoire des rêves de belles vies à partir de sept voies principales, que l’on retrouve tout au long de l’histoire. Sont apparues tour à tour 1) la voie du salut, 2) la voie du bonheur, 3) la voie de la guérison, 4) la voie de l’accomplissement, 5) la voie de la vertu, 6) la voie de la liberté, enfin 7) la voie du progrès.
Ces sept voies apparaissent et réapparaissent au cours du temps sous de multiples formes. Commençons par les examiner tour à tour avant de se demander comment elles sont nées, s’il en est de plus désirables ou de plus réalistes que d’autres. Et si la belle vie n’est qu’une impossible chimère ou un projet crédible.
1. La voie du salut - En matière de « belle vie », ce sont les religions du salut qui ont fourni les premiers scénarios de vie meilleure : en général sous la forme du paradis post mortem. Dans la mythologie gréco-romaine, le paradis est le lieu où se retrouvent les âmes vertueuses après la mort. Ce sont ces champs Élysées où, selon Homère, « les immortels t’emmèneront […], où la plus douce vie est offerte aux humains ». À condition bien sûr d’éviter les autres régions de l’enfer, beaucoup moins accueillantes.
Plus loin de nous, au Tibet, le livre des morts (d’inspiration bouddhiste) décrit plusieurs trajets possibles de l’âme après la mort. Soit votre karma (ce que l’on a fait de bien et de mal) est mauvais – vous risquez alors de vous réincarner dans un être plus vil –, soit votre karma est satisfaisant – vous revivrez dans une forme de vie meilleure. Enfin si votre karma est vraiment excellent, la récompense suprême peut s’offrir à vous : c’est la fin du cycle des réincarnations (le samsara). À ce stade, l’âme individuelle se dissout en s’unissant au cosmos : la délivrance tant attendue survient (enfin !).
Pour les catholiques – plus exactement pour le catéchisme officiel de l’Église 1 (car la plupart des catholiques en doutent) –, l’âme peut atteindre le paradis où le bienheureux retrouve ses chers disparus et vit en compagnie du Christ. Toutefois, il se peut aussi que l’âme finisse en enfer (où brûlent des flammes éternelles) ou bien passe quelque temps au purgatoire (une formule inventée au Moyen Âge) en attendant sa destination finale.
Au fond, toutes les religions du salut brodent autour d’un même scénario où il est question d’une migration de l’âme qui, après des stades intermédiaires, finit par atteindre une béatitude (ou une damnation) finale.
Vu de l’extérieur, tout cela paraît enfantin. Pourtant des esprits réputés y ont cru. Ainsi Socrate, dont on dit qu’il se vantait de « ne rien savoir » (c’était sa définition de la sagesse), croyait à l’éternité de l’âme. Il pensait même que la sienne, au moment de sa mort, allait quitter sa vieille et laide carcasse (il était connu pour sa laideur) et se débarrasser de sa femme (Xanthippe, une vraie mégère) pour se retrouver en compagnie de purs esprits avec lesquels il pourrait philosopher et avoir la paix. Voilà sans doute pourquoi il ne craignait pas trop de boire la ciguë 2. Autre exemple : Blaise Pascal, le philosophe, fervent chrétien, était aussi amateur de jeux de hasard et fondateur de la théorie des probabilités : du coup, il se disait prêt à parier sa vie ici-bas pour un espoir de salut éternel. Aujourd’hui, la voie du salut continue à faire rêver et espérer, y compris des esprits fins et cultivés.
2. La voie du bonheur - La plupart des philosophes considèrent que la belle vie – si elle existe – doit plutôt s’expérimenter ici-bas. Comment ? Les formules varient. Pour les tenants de l’hédonisme, le bonheur est synonyme de désirs et de plaisirs. La bonne chère, l’amour, la fête et tout ce qui célèbre les forces de vie : voilà les vrais ingrédients de bonheur. L’hédonisme est de toutes les époques. En Grèce antique, Aristippe de Cyrène (un élève de Socrate) professait une doctrine qui n’est pas si loin de celle défendue à l’époque des Lumières par Chamfort (1741-1794) dont l’éthique se résumait en un slogan : « Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne. » On trouve des hédonistes en Chine (avec l’iconoclaste Yang Zu) et Malek Chebel en a trouvés en terre d’islam 3. Une version plus tempérée des choses est celle d’Épicure. Dans son fameux jardin, le philosophe cultivait des légumes et entretenait les joies simples de la vie : un repas frugal, l’amitié, la lecture, la musique, etc.