Les vertus des conflits

Fuir les affrontements est un réflexe spontané. Pourtant, les managers auraient intérêt à l’accepter – sans toutefois le laisser s’envenimer – comme le symptôme d’un problème à régler.

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La question est séculaire, le débat, toujours d’actualité. Car l’expérience est à chaque fois douloureuse : le conflit épuise ses combattants, qui en perdent souvent le contrôle. Son coût semble exorbitant, son utilité faible. Il illustre la part sombre de notre humanité, quand la pulsion d’hostilité n’est plus freinée par la raison et le calcul d’intérêts. La plupart d’entre nous le redoutent, quand d’autres semblent le cultiver – et l’ambiance au travail s’en ressent. Surtout, si nous savons entrer en conflit, nous peinons à en sortir : il nous faut alors l’aide d’un médiateur ; et les plaies tardent à cicatriser. Tout concourt à ce que le conflit dans l’entreprise ait mauvaise presse : il brise l’harmonie, réduit la coopération, instaure la méfiance, et dissipe les énergies. Faut-il pour autant s’en méfier ?

La question n’est pas métaphysique. Les théories du management, depuis les conférences de Mary Parker Follett (au mitan des années 1920) jusqu’aux travaux de Michel Crozier et Erhard Friedberg (dans les années 1970) – et les articles les plus récents n’infirment pas, loin s’en faut, la solidité de leurs analyses… – ont tenté de donner au conflit la place qui lui revient dans l’entreprise contemporaine : importante (car il exprime les dilemmes du vivre ensemble et les difficultés de l’action collective – ce qui permet de les dépasser) mais non prépondérante (car le conflit n’est que l’expression de ces difficultés, non leur remède).

Discerner motifs et modalités du conflit

Le problème n’est pas le conflit lui-même, mais sa trajectoire et son emballement, mortifères. Car le conflit révèle, exprime, signifie, illustre, etc. – même s’il divise, oppose, simplifie et dramatise. Il convient donc d’agir à son égard avec lucidité.

Deux dilemmes sont à traiter si l’on veut répondre à la question initiale. Tout d’abord, faut-il éviter le conflit, s’en prémunir, car la dynamique conflictuelle dans une organisation produit plus souvent deux perdants qu’un heureux gagnant – et longtemps durent les traces et les traumatismes ? Et ensuite, s’il est saisi comme un levier de changement, comme l’occasion de remettre à plat règles et relations sociales, comment empêcher qu’il dégénère, qu’une dynamique conflictuelle mortifère détruise le fragile équilibre qu’est une organisation de travail ?