Les prises de parole de Marine Le Pen et de son père sont devenues un classique du brouhaha médiatique. Si bien que l’on a tendance à ne les scruter que sommairement. Dans Marine Le Pen prise aux mots (2015), Cécile Alduy, professeure de littérature française à l’université de Stanford (Californie) et Stéphane Wahnich, professeur de communication politique à Paris-Est-Créteil, proposent une large analyse statistique du discours frontiste.
À l’aide de logiciels lexicométriques, les auteurs ont passé au crible près de 500 déclarations, textes et allocutions énoncés entre 1987 et 2013 par les deux dirigeants successifs du Front national (FN). La récurrence de certains termes et leur environnement lexical permettent de rendre compte de l’évolution du message du FN et de ses nouveaux ressorts rhétoriques.
Dans ses prestations orales, la présidente du FN a ainsi surinvesti les thématiques économiques, relativement boudées par son père. Sur l’ensemble du corpus, les mots « économie » et « économique », comparés à leurs homologues grammaticaux, sont respectivement utilisés à une fréquence de 2,8 ‰ et 14,9 ‰ chez M. Le Pen, contre 1,7 ‰ et 10,7 ‰ chez son père. Pour « euro », c’est encore plus flagrant, puisque la fille y recourt à 6,7 ‰, score qui tombe à 1,8 ‰ chez Jean-Marie Le Pen.
Les auteurs constatent que la fille évite d’employer le terme « immigrés » (40 occurrences dans le corpus, contre 330 chez son père). Des désignations plus abstraites s’y substituent, comme « immigration » ou « politique migratoire », qui évoquent un phénomène statistique – masquant du même coup les vies humaines qui le sous-tendent. Là encore, la sensibilité économique est bien plus présente chez la fille que chez le père : parmi les 300 mots-clés les plus utilisés en association avec « immigration », on retrouve « salaire », « baisse », « protection », « coût » pour la première, tandis le second se situe sur un registre plus anxiogène (« danger », « menace », « perte », « difficulté »).