Fini le temps où le prolétariat réclamait avant tout une augmentation de son pouvoir d’achat. Pour le sociologue Patrick Cingolani, aujourd’hui, les travailleurs aspirent surtout à davantage d’autonomie. Le mot « précaire », dont l’introduction en sociologie date des années 1980, apparaît avec la massification de formes atypiques de contrat (CDD, intérim, temps partiel…). Il présente aussi une dimension positive : celle de la recherche d’une alternative à la logique tayloriste, jugée aliénante. Plus diplômés que leurs aînés, les jeunes des classes populaires et des classes moyennes recherchent un travail leur permettant de s’épanouir, de « faire ce qui leur plaît ». En parallèle de la société salariale, se développe la « polyactivité » : certains travailleurs mènent de front une activité « alimentaire » et une activité « passion », peu ou pas rémunérée dans l’espoir à terme de se reconvertir et de vivre de celle-ci. P. Cingolani s’intéresse en particulier au cas des travailleurs des industries culturelles. Ces « intellos précaires » cherchent à accomplir des tâches « gratifiantes » même si cela implique un mode de vie simple et une certaine instabilité économique. Cependant, ces dernières années, avec la crise et une féroce concurrence, la valeur de leur travail s’est dépréciée. On pense, par exemple, aux revenus des photographes réduits à la portion congrue face à l’essor du numérique. Les inégalités se creusent parmi ces travailleurs atypiques entre ceux dont les proches peuvent assurer le soutien financier et les autres. L’autonomie des individus est en fait limitée par leur dépendance économique, au fur et à mesure que se développe une forme systématique d’exploitation de leur travail. Indépendants et intérimaires sont en effet mal défendus par les syndicats. La naissance d’espaces de coworking et de nouvelles formes de mobilisation laisse entrevoir, selon l’auteur, une première forme de résistance et de solidarité de ces travailleurs face à la précarité.
Révolutions précaires
Révolutions précaires. Patrick Cingolani, La Découverte, 2014, 148 p. 13 €.