Le travail est-il irrémédiablement voué à nous faire souffrir ? Les enquêtes sociologiques les plus récentes sur le sujet indiquent qu’il n’en est rien. Placé sous le sceau parfois contradictoire de la double injonction à l’autonomie dans l’organisation de son temps et de ses activités d’un côté, au respect des exigences multiples émanant des clients, des pairs, des supérieurs… de l’autre, le travail est souvent à la source, il est vrai, de maux multiples (burnout, stress, addiction…). Il n’y a pourtant à cela aucune fatalité. D’abord, parce que certaines organisations, plus attentives que d’autres au bien-être de leurs salariés, ont adopté des pratiques et des formes de coordination qui tempèrent les risques de l’épuisement professionnel. Ensuite, parce que les salariés eux-mêmes disposent, de façon inégale il est vrai, de ressources personnelles et collectives qui les aident à faire fi de la pression de l’urgence ou à ne pas vivre trop dramatiquement les agressions physiques et symboliques dont ils sont l’objet.
Do it yourself !
Il est, par ailleurs, des évolutions de fond dans l’organisation du travail, dont nous ne percevons aujourd’hui que les premiers signes, qui pourraient à terme bouleverser nos manières de considérer et de vivre le travail. Les lieux de l’innovation sont extérieurs aux entreprises classiques. Ils ont pour nom hackerspaces, fab labs (laboratoires de fabrication), makerspaces, tech shops… En dépit des différences d’étiquetage, tous ces espaces partagent un trait commun majeur : ils rassemblent des personnes qui, bénévolement, souhaitent expérimenter le plaisir d’un travail – le faire – qui trouve en lui-même sa propre finalité. Équipés d’outils et de machines de toutes natures, depuis le marteau le plus rudimentaire jusqu’à la machine-outil industrielle la plus sophistiquée, en passant par toutes les ressources qu’offre l’informatique, ces espaces ont pris pied partout sur la planète. Alors qu’il y a dix ans à peine, on pouvait les compter sur les doigts d’une seule main, ils sont désormais plusieurs milliers, implantés dans la plupart des grandes villes d’Europe, d’Amérique, de Chine et d’ailleurs. Cette découverte du travail autonome, du bricolage, du do it yourself, de la libre collaboration, de l’échange des savoirs…, n’est pas aussi spontanée que pourrait le laisser croire la croissance exponentielle des hackerspaces et des fab labs à travers le monde. Elle doit d’abord et avant tout à la riche histoire des hackers, ces « bricoleurs de codes » qui, depuis les années 1950, ont défriché un nouveau monde : celui de l’informatique. Bien loin, dans l’immense majorité des cas, de l’image du pirate à laquelle ils sont trop souvent associés dans les médias, les hackers ont aussi inventé de toutes pièces une nouvelle éthique du travail.