Travail, le temps du changement

Oui, il est possible d’améliorer le travail ! Comment ? 
En explorant des pistes qui, à l’échelle des individus, 
des organisations ou du marché du travail, 
montrent qu’il existe toujours des marges de manœuvre pour agir. Tour d’horizon en quatre étapes.

« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », disait le poète Friedrich Hölderlin. Inutile d’épiloguer sur les maux du travail. L’avalanche de publications sur la souffrance au travail, le stress, les burnout ou les risques psychosociaux le confirme. En 2013, il est même paru un excellent Dictionnaire des risques psychosociaux – plus de 800 pages ! – qui à lui seul suffit à exprimer l’ampleur du mal. Mais au temps des lamentations doit succéder celui des solutions. Justement, depuis quelque temps, de nombreuses propositions se font jour pour tenter d’apporter des remèdes à la crise du travail. Elles émanent de sources très diverses. Certaines sont vraiment nouvelles, d’autres ne sont que la réactualisation de formules anciennes. Certaines s’appuient sur des expériences, d’autres n’en sont qu’à l’état de promesses. Certaines relèvent de choix personnels, d’autres de grands projets visant à « changer de modèle » social. Entre les deux, il y a toute une gamme de solutions intermédiaires, qui se jouent à l’échelle des services, des organisations, du management ou de la gouvernance des organisations.

Sans plus tarder, partons à leur découverte. Pour se retrouver dans ce dédale, on peut découper le problème en plusieurs niveaux en s’inspirant d’Épictète, selon qui il faut apprendre à distinguer « ce qui dépend de moi » de « ce qui ne dépend pas de moi ». Entre les deux, on pourrait ajouter « ce qui dépend un peu de moi ». À chaque échelle ses marges de manœuvre. Un découpage en quatre niveaux nous servira de guide.

 

1. Changer sa façon de faire

Vous êtes débordé, fatigué, découragé, au bord du burnout ? Vous n’êtes pas seul… Vous souhaiteriez prendre le large, partir, changer de vie ? Oui, mais pour aller où et pour faire quoi ? Il faut bien remplir le frigo, payer son loyer, les études des enfants… des jours meilleurs. En attendant, il faut donc survivre et affronter la réalité telle qu’elle est. La solution provisoire ne serait-elle pas dans le « lâcher-prise », une façon d’aborder votre travail avec plus de sérénité, sans vous laisser envahir par l’angoisse, la culpabilité, le stress ? Signe des temps, la démarche connaît un succès retentissant sous la forme du mindfulness, ou « méditation de pleine conscience ». Son principal promoteur, le professeur Jon Kabat-Zin, a mis au point une méthode en huit semaines qui doit permettre de réduire le stress. Conçue au départ comme méthode d’accompagnement pour les malades – non pour les aider à guérir, mais pour les aider à affronter leur maladie –, sa méthode est aujourd’hui appliquée au monde du travail (1). Au cours de ces huit semaines, les participants sont conviés à pratiquer en groupe, puis seuls, des exercices de respiration, de scan corporel (visualisation mentale) et de concentration sur « l’instant présent », en posture assise ou en marchant. Le mindfulness vise à se relaxer – lâcher prise, c’est se détendre –, mais aussi à développer des capacités d’autoanalyse de ses états mentaux, afin d’apprendre à distinguer les problèmes et la façon dont on y réagit. La démarche invite aussi à méditer sur ses objectifs et finalités : abandonner l’illusion des solutions idéales (qui n’existent pas) et du contrôle total pour se concentrer sur les solutions effectives. En ce sens, c’est une pratique existentielle. La méditation ne résout pas les problèmes fondamentaux – les contraintes qui pèsent sur les postes de travail –, mais elle permet de les affronter avec plus de sérénité. C’est déjà beaucoup.

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Le mindfulness n’est que l’une des techniques psychologiques qui font florès, à côté de la psychologie positive 2, des thérapies d’acceptation et d’engagement. Leur succès est emblématique d’une quête profonde : retrouver l’harmonie dans son travail, face au surmenage des modes de vie actuels.

• Le faire-face

En situation de stress, les organismes ont des modes de réaction assez stéréotypés. Ils ont été étudiés par la psychologie de la santé et ont donné naissance à un champ de recherche : le « coping » (le faire-face). Soumis à des situations de stress aigu, les humains réagissent par des réactions prototypiques : fuir, combattre ou se laisser faire. Les stratégies de coping ont donné lieu à une abondante littérature en psychologie de la santé. La démarche a été appliquée au domaine des organisations. Lucie Côté, spécialiste de la gestion du stress au travail, distingue deux grandes catégories de réactions de l’individu placé dans une situation de « surchauffe ». Il y a d’abord les réactions négatives, comme la résignation (l’abattement) ou l’acharnement (une forme d’activisme épuisante). Puis il y a les stratégies positives comme le lâcher-prise, dont on a vu qu’il ne consiste pas à renoncer mais à mieux gérer les émotions (agitation, angoisse, peur) pour se concentrer sur le problème. Les autres stratégies consistent à reprendre le contrôle. Quand on est « dans le rouge », submergé par des tâches impossibles à réaliser, il existe toujours des façons de contrôler la situation : simplifier, diminuer le niveau d’exigence, appeler à l’aide, négocier les délais.

Les compétences pour affronter les situations critiques (comme apprendre à dire non, à se concentrer sur une tâche, à simplifier le travail et à gérer son temps) ne sont pas qu’affaire de personnalité (« je ne suis pas assez organisé »), elles relèvent de stratégies mentales et de modes d’organisation personnelle, qui peuvent aussi s’apprendre.