◊ Entretien avec Yves Clot 1
Peut-on parler de souffrance au travail ?
À mon sens, on peut parler de souffrance au travail lorsque l’activité est empêchée. L’activité empêchée, c’est le salarié qui, à la fin de la journée, se dit « aujourd’hui encore, j’ai fait un travail ni fait, ni à faire ». C’est la mauvaise fatigue qui provient de tout ce que l’on n’arrive pas à faire. C’est ce travail qui vous poursuit, vous empêche de dormir. L’activité empêchée, c’est ne pas pouvoir se reconnaître dans ce que l’on fait. Les entreprises peuvent, sensibilisées comme elles le sont, reconnaître les difficultés du travail, et même la souffrance des personnes. Elles ont plus de mal à reconnaître toutes « les activités en souffrance » qui empêchent les salariés de se retrouver eux-mêmes dans ce qu’ils font, dans la qualité d’un produit, d’un geste de métier, d’une histoire collective. Prétendre reconnaître la personne des salariés, alors qu’ils sont contraints de faire des choses indéfendables à leurs propres yeux, cela peut engendrer de véritables pathologies mentales.
La santé au travail n’exclut pas la fatigue quand c’est celle de l’effort accompli dans le travail bien fait, celle qui permet d’affecter son milieu professionnel par son initiative. On se repose bien de cette fatigue-là.
Pourquoi la qualité du travail est-elle un enjeu essentiel pour comprendre le malaise des salariés ?
Cette question est en effet cruciale, particulièrement dans une société où les activités de services sont devenues prépondérantes. Dans la santé, le social, l’éducation, mais aussi dans le rapport au client qui se développe dans l’industrie, le travail pose de redoutables problèmes de conscience. Ai-je traité le client ou l’usager comme il le mérite ? La logique commerciale que l’on m’impose me permet-elle de satisfaire ses attentes ? La qualité est-ce le chiffre d’affaires obtenu ou la satisfaction de l’usager ? Les critères de qualité dans les services ouvrent des controverses bien plus importantes que dans l’industrie.