Dernières nouvelles du capitalisme

La prophétie marxiste vouait le capitalisme à la disparition. Mais il a, jusqu’à nouvel ordre, survécu aux crises en se transformant, et ses derniers avatars donnent à penser que sa ruine n’est pas pour demain.

Il y a juste 150 ans, en 1867, Karl Marx publiait le premier volume du Capital. Depuis des années, il travaillait d’arrache-pied, dans les salles du British Museum de Londres à dévorer des tonnes de livres d’économie, d’histoire et de philosophie sociale pour rédiger sa grande œuvre critique. Son objectif : dévoiler la nature profonde du capital et ses contradictions internes. Il voulait aller vite car il pensait l’effondrement imminent : la grande crise financière de 1856-1857 n’avait sans doute été qu’une première secousse sismique ; elle annonçait une déflagration plus grave encore.

Mais Marx ne cessait de remettre en chantier son grand œuvre. Car sa propre démonstration de la chute des taux de profit, une « loi d’airain du capitalisme » qui devait précipiter sa chute, ne le satisfaisait pas vraiment  1.

Finalement, Marx est mort sans avoir achevé Le Capital et le capitalisme lui a survécu. Certes, les crises successives ont bien eu lieu, mais elles ont jusque-là toujours été absorbées et même suivies de grandes phases de croissance. Ironie de l’histoire : le capitalisme a même remplacé le communisme dans les pays qui avaient tenté l’expérience. Et le taux de profit se porte aujourd’hui plutôt bien (comme l’a montré Thomas Piketty dans Le Capital au 21e siècle). Cette étonnante capacité d’adaptation et de transformation a obligé les penseurs à rendre compte de ces métamorphoses successives.

Dans Histoire du capitalisme (2017), le sociologue allemand Jürgen Kocka a tenté un tour de force : dresser un tableau synthétique en moins de 200 pages. Le capitalisme a connu un premier développement dans l’Antiquité (Mésopotamie, Rome), puis en Arabie ou en Chine où l’économie marchande était beaucoup plus développée et autonome que l’a pensé Karl Polanyi « sur des bases empiriques très incertaines ». Mais le vrai démarrage a lieu en Europe à la Renaissance avec l’essor d’un capitalisme marchand, financier et déjà internationalisé. Le capitalisme au temps de Marx est celui de la Révolution industrielle, celui des premières usines et machines. Marx le pensait déjà dans sa maturité en Angleterre. Mais à sa mort (en 1883), il avait déjà pris un nouveau visage : celui des grands monopoles industriels et de l’impérialisme. En 1915, Lénine diagnostiquait que l’impérialisme était arrivé à son « stade suprême » et donc final. Ce ne fut pas le cas. Deux guerres mondiales et une grande crise financière plus tard, il était encore là. Ce que K. Polanyi a nommé La Grande Transformation (1944) des années 1930, à savoir la fin de l’époque libérale et l’avènement d’une économie dirigée par des État interventionnistes.