L'avènement du tourisme de masse

Né à la fin du XVIIe  siècle, le tourisme est passé d’une pratique réservée à une élite à une migration saisonnière amplement partagée. Cette massification n’a pas pour autant supprimé les inégalités d’accès.

À la fin du XVIIe  siècle, Blaise Pascal écrivait que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (Pensées). Au même moment, les jeunes aristocrates britanniques s’inquiétaient plutôt d’obtenir « une chambre avec vue » à chacune des étapes du grand tour qui les conduisait déjà jusqu’au Sud de l’Italie. Immortalisée par le roman d’Edward M. Forster, adaptée à l’écran par James Ivory (Chambre avec vue, 1985), cette étape obligée de la formation des jeunes Anglais de bonne naissance marque le point de départ du tourisme. D’un loisir jadis exclusif, celui-ci est devenu, pendant la seconde moitié du XXe  siècle, une migration saisonnière amplement partagée, sans pour autant, loin s’en faut, avoir effacé toutes les barrières sociales.

Accompagnés d’un tuteur, les nobles britanniques se rendaient d’abord à Paris en passant par Amiens, Chantilly et l’abbaye de Saint-Denis, sans s’attarder dans les campagnes. La capitale française était déjà une attraction majeure en Europe : on y visitait des monuments, on y profitait des fêtes. Puis l’on se rendait en Italie, en passant par la vallée du Rhône, de préférence à travers la route des Alpes, moins hasardeuse et imprévisible que la Méditerranée, avec ses tempêtes et ses pirates.

 

L’essor du tourisme

L’Italie était recherchée pour son climat, ses opéras à Reggio, Bologne ou Milan, ses carnavals de Naples et de Venise, sans oublier les cérémonies religieuses, les peintures et les antiquités de Rome. Les visites de monuments sont vite ennuyeuses, mais il faut pouvoir dire que l’on a vu beaucoup de choses en très peu de temps, et rapporter les observations attendues. N’ayant besoin ni de gagner leur vie, ni de mettre en pratique leur connaissance des pays visités, leur souci est plutôt de savoir comment passer le temps. Ils sont jeunes, en bonne santé, riches et loin de la contrainte familiale. Le jeu, l’alcool et les opportunités d’aventures amoureuses sont un élément fort de leur voyage, régulièrement dénoncé par les moralistes de l’époque (1).

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Alors que le grand tour n’en marquait que les prémices, la révolution du temps et des transports ferroviaires au XIXe  siècle fonde l’activité économique liée au tourisme. Les sociétés locales ne restent pas passives face à ces étrangers qui, de plus en plus nombreux, se déplacent pour leur plaisir. Dès l’orée du XIXe  siècle, précédant parfois la venue des touristes, notables, municipalités et sociétés savantes publicisent les attraits de leur région. La Normandie occupe une situation particulière : proches de Paris et de ses cercles mondains (moins de 12  heures de transport entre Paris et Rouen en 1820), ses érudits sont aussi en relation avec l’Angleterre où domine alors l’intérêt romantique pour le Moyen Âge et les antiquités celtiques. Les notables normands vont donc relayer, étayer et diffuser un modèle de représentation du Moyen Âge qui inspire les architectes (Viollet-le-Duc), les romanciers (Victor Hugo, Alexandre Dumas), les historiens (Jules Michelet) ou les peintres. Dès 1820, c’est aussi la découverte du littoral, l’essor des bains de mer en Normandie. La ligne de chemin de fer Paris-Dieppe est inaugurée en 1848. Elle transporte les bourgeois de Paris en plus grand nombre, provoque la spéculation immobilière, la construction de Deauville (2). Elle modifie également les vues de la province, puisque la plage devient un point de vue dominant. Alors que la villégiature s’organise, que les stations de mer et de montagne se multiplient partout en Europe, le tourisme se développe à l’initiative de clubs cyclistes et automobiles européens.