À lire aussi
-
Le nouveau monde de la production
Le travail en quête de sens, Sciences Humaines n°210
-
A votre service
Le travail en quête de sens, Sciences Humaines n°210
-
Nouvelle économie, nouveaux pouvoirs ?
Organisations : le pouvoir invisible, Sciences Humaines n°125
-
L'implication éternelle question
Malaise au travail, Grands Dossiers n°12
-
L'autonomie dans le travail, une fausse bonne idée ?
Organisations : le pouvoir invisible, Sciences Humaines n°125
De quoi parle-t-on ?
Cela a d’abord été une mode managériale, au début des années 1980, avant que les économistes et les sociologues se passionnent pour la question : le monde taylorien serait mort et aurait cédé la place à de nouvelles formes d’organisation du travail. Le taylorisme, on sait à peu près ce que c’est. Dérivé du patronyme d’un ingénieur de production américain, Frederick Taylor (1856-1915), inventeur de l’« organisation scientifique du travail », le terme définit les pratiques largement adoptées par les grandes entreprises industrielles de l’après-guerre. Toutes ne s’y sont pas pliées, les secteurs de la sidérurgie ou du bâtiment étant rétifs au taylorisme. Mais nombreuses sont celles qui, de l’automobile à l’agroalimentaire et à l’industrie des biens de consommation, se sont dotées de bureaux d’études chargés de décomposer les tâches en gestes simples, les plus efficaces et rapides possible, puis de répartir ces gestes en différents postes de travail le long d’une chaîne de production. Viennent à l’esprit les images du Charlie Chaplin des Temps modernes (1936), vissant des boulons sans plus s’arrêter, ou encore celles des chaînes de montage de Renault ou de Peugeot dans les années 1960 ou 1970.
Le « juste-à-temps »
Une plongée chez les sous-traitants du parc industriel de Renault-Sandouville témoigne des transformations qui se sont opérées dans le monde industriel au cours des trois dernières décennies (1). Ces fournisseurs, qui conçoivent portes, sièges et autres composants destinés à des véhicules du constructeur, vivent à l’heure du « juste-à-temps » : leur production doit être parfaitement synchronisée avec la chaîne de montage de Renault, afin que celle-ci ne s’arrête jamais. Un retard, et c’est une amende qui tombe (1 500 euros au moment de l’enquête). Leur donneur d’ordre les informe en continu de ses besoins (quels accessoires, pour quel modèle ?). À charge pour le fournisseur de s’adapter immédiatement. Cela suppose pour les salariés de pouvoir assumer plusieurs postes de travail et plusieurs tâches (production, contrôle de qualité, analyse d’information). Le respect des délais leur est indiqué par des clignotants de couleur. Vert : ils ont du temps devant eux. Orange : leur avance commence à fondre. Rouge : ils sont dangereusement en retard. La journée se déroule ainsi, marquée par un stress récurrent, lié à l’obligation de concilier simultanément les exigences du flux tendu et le respect des normes de qualité.
Un tel mode d’organisation du travail tend à se diffuser dans l’économie. Grâce à son réseau interne de communication, l’entreprise de prêt-à-porter espagnole Zara fait remonter au jour le jour de ses magasins des informations relatives au niveau des stocks et aux goûts de la clientèle, relayées par une équipe de 200 stylistes, capables de renouveler les collections tous les 15 jours. Cette réactivité, que Gap peine à égaler, elle qui a délocalisé sa production en Asie, a fait de Zara la nouvelle coqueluche des écoles de management (2).
NOTES :
(1) Armelle Gorgeu et René Mathieu, « L’obsession du flux tendu : les usines d’équipement automobile des parcs industriels fournisseurs », in Danièle Linhart et Aimée Moutet, Le travail nous est compté. La construction des normes temporelles du travail, La Découverte, 2005.
(2) Philippe Askenazy, Les Désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.
Une diversité de modèles
Les chercheurs américains James Womack, Daniel Jones et Daniel Roos ont été, au début des années 1990, parmi les premiers à désigner le nouveau modèle d’organisation du travail appelé selon eux à remplacer définitivement la production de masse taylorienne. Issu d’une enquête réalisée par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), leur ouvrage Le système qui va changer le monde proclame les vertus de méthodes de travail inspirées du constructeur japonais Toyota et qu’ils désignent sous le terme de « lean production » (1).
La lean production signifie littéralement la « production dégraissée », ou encore « production au plus juste ». Elle cherche en premier lieu à réduire les stocks au minimum, faisnt fabriquer à chaque étape de la production le volume exact dont on a besoin : la chaîne de production opère en « flux tendu ». Elle vise en deuxième lieu à répondre rapidement et efficacement à une demande diversifiée et changeante : à l’exigence de rendement, elle ajoute l’impératif de flexibilité de la production, ce qui incite Philippe Askenazy à parler d’un « productivisme réactif » (2). Elle s’attache en dernier lieu à améliorer la qualité des produits. Ces trois objectifs sont obtenus grâce à une organisation du travail reposant sur la polyvalence, la polycompétence et le travail en équipes autonomes. La polyvalence des personnels conditionne la capacité de l’entreprise à s’adapter rapidement à une demande changeante. Leur polycompétence leur permet d’effectuer en plus des tâches de production, celles de contrôle de la qualité et de réaction aux informations qui leur sont communiquées. Le travail en équipe fait tenir ensemble ces impératifs, chaque membre du groupe assumant l’une des tâches à un moment donné.
Que d’innovations !
L’idée qu’il y aurait un modèle unique d’organisation du travail appelé à remplacer un modèle (taylorien) antérieur tout aussi unique est cependant battue en brèche. S’appuyant sur une étude internationale consacrée à l’industrie automobile, Robert Boyer et Michel Freyssenet (3) mettent en évidence le fait qu’une grande diversité de modèles productifs a toujours coexisté dans ce secteur, les uns axés sur la qualité (Volvo), d’autres sur le volume produit (Ford), d’autres encore sur la réduction permanente des coûts (Toyota), etc. S’agissant des formes innovantes de travail, les chercheuses américaines Eileen Appelbaum et Rosemary Batt repèrent dans les années 1990 au moins deux modèles distincts aux États-Unis : celui de la lean production et celui de la « production en équipes autonomes à l’américaine », inspirée notamment de l’approche sociotechnique scandinave (4). Mathieu Bunel, Jean-Louis Dayan, Guillaume Desage, Corinne Perraudin et Antoine Valeyre confirment ce constat pour la France (5). Décomposant les formes d’organisation du travail en une série d’items relatifs à l’autonomie dans le travail, la polyvalence, la polycompétence, le contrôle exercé par la hiérarchie, l’organisation en flux tendu, etc., ils dégagent un ensemble d’entreprises organisées selon les préceptes de la production au plus juste, relevant selon eux d’un régime d’« autonomie contrôlée ».
Ils repèrent néanmoins un autre ensemble de firmes, qualifiées d’« entreprises apprenantes », fondées sur une plus grande autonomie dans le travail (les salariés y sont à même d’organiser eux-mêmes leur planning quotidien), un contrôle moins serré de la hiérarchie (celle-ci veille à l’atteinte des résultats plus qu’au déroulement du travail lui-même), des contraintes temporelles plus lâches (pas de production en flux tendu), ainsi que sur une communication intense entre salariés. Un tel modèle se retrouverait plus fréquemment dans des activités tertiaires, des plus « créatives » (cabinets d’avocat, design, conception de logiciels, sociétés de presse, etc.) aux plus bureaucratiques (banques, sociétés d’assurance, etc.) ou encore dans les entreprises de la finance. Elle serait également présente dans les industries les plus intensives en recherche et développement, celles de l’énergie ou de l’aéronautique. L’exemple d’un chargé de clientèle d’une société d’assurance peut illustrer ce mode d’organisation du travail : il a des résultats commerciaux à atteindre, il peut échanger fréquemment avec ses pairs, mais personne ne suit au jour le jour l’ensemble des opérations qu’il réalise.
NOTES :
(1) James Womack, Daniel Jones et Daniel Roos, Le système qui va changer le monde, Dunod, 1992.(2) Philippe Askenazy, Les Désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.
(3) Robert Boyer et Michel Freyssenet, Les Modèles productifs, La Découverte, coll. « Repères », 2000.
(4) Eileen Appelbaum et Rosemary Batt, The New American Workplace: Transforming work systems in the United States, ILR Press, 1994.
(5) Mathieu Bunel et al., « Formes d’organisation du travail et relations de travail », Centre d’études de l’emploi, document de travail n° 53, décembre 2008.
Quelle est leur histoire ?
Les nouvelles formes d’organisation du travail ont une double filiation. Elles trouvent en premier lieu leur origine dans la crise du travail des années 1970. De nombreux salariés manifestent alors un rejet de l’organisation taylorienne du travail (parcellisation des tâches, accroissement continu des cadences, pouvoir de la hiérarchie). Un rejet qui se traduit par une montée de l’absentéisme et de la rotation du personnel, dont le coût pousse les entreprises à repenser l’organisation du travail, dans le sens d’une autonomie accrue des salariés. S’inspirant de l’approche sociotechnique du Tavistock Institute de Londres, ainsi que des « groupes semi-autonomes de production » expérimentés en Norvège, le constructeur automobile suédois Volvo supprime la chaîne de montage dans son usine de Kalmar (1972), puis dans celle d’Uddevalla (1985). Dans celle-ci, un groupe de 10 salariés monte un véhicule de A à Z, au moyen de composants affluant automatiquement vers l’atelier.
L’adaptation au contexte économique
La seconde filiation des formes innovantes de travail est strictement économique. Les grandes entreprises fordistes – Ford, General Motors ou encore Renault – étaient adaptées au contexte de croissance régulière des trente glorieuses. Très centralisées, tirant leur efficacité de la standardisation de produits fabriqués en longues séries, elles peinent à faire face au contexte incertain des années 1970, marqué par deux chocs pétroliers et une concurrence internationale accrue. Pour faire la différence, les entreprises diversifient leur production, soignent la qualité des produits, s’attachent à s’adapter le plus finement et rapidement possible aux demandes des clients. C’est l’un des objectifs explicites de l’usine d’Uddevalla de Volvo. Mais une autre entreprise a pris une longueur d’avance dans ce domaine, taillant des croupières aux entreprises américaines : le constructeur japonais Toyota. Celui-ci a mis au point au cours des années 1970 un mode d’organisation du travail qui se révèle particulièrement adapté au nouveau contexte. Les salariés y sont regroupés en équipes autonomes qui ont la responsabilité de réduire les coûts et de surveiller la qualité. Plutôt que sur une communication verticale, de la hiérarchie vers les exécutants, le modèle toyotiste repose sur une communication horizontale entre les ateliers. C’est ainsi que les informations (quels modèles produire et dans quelles quantités) remontent depuis le marché jusqu’aux différents services, permettant aussi la réduction des stocks.
Dans les années 1980, limitant les importations de voitures nippones, les États-Unis obligent les constructeurs japonais à installer des usines sur leur territoire. Les méthodes japonaises sont transplantées sur le sol américain. Contre toute attente, la greffe prend. Les firmes locales n’ont plus d’autre choix que de s’adapter. Commence un processus d’hybridation qui débouchera sur le modèle de la lean production. Les entreprises américaines ne se contentent cependant pas de copier leurs concurrentes japonaises. Elles innovent dans trois directions. En premier lieu, le travail en équipe autonome et le juste-à-temps sont appliqués à tous les étages de l’entreprise, des ateliers jusqu’au management. En deuxième lieu, ces méthodes passent de l’industrie aux services, de l’hôtellerie aux hôpitaux, des services aux entreprises à la grande distribution. En dernier lieu, les entreprises américaines perfectionnent les méthodes japonaises en mettant à profit les progrès de l’informatique, stimulés par les besoins organisationnels des entreprises (1). Dans les années 1990, la lean production se diffuse à son tour en Europe. Mais sans pour autant convertir l’ensemble des entreprises.
NOTE :
(1) Philippe Askenazy, Les Désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.
Sont-elles devenues majoritaires ?
Il serait erroné de croire que le monde du travail est devenu irrémédiablement posttaylorien. L’industrie charcutière emploie ainsi 79 % d’ouvriers, dont 60 % de travailleurs non qualifiés. 43 % des salariés y sont exposés à un contrôle hiérarchique permanent et 59 % y réalisent des tâches répétitives pendant plus de 20 heures par semaine (1). Des formes d’organisations tayloriennes ont pu par ailleurs apparaître dans des secteurs où elles n’existaient pas auparavant, que ce soit les BTP (bâtiment et travaux publics), la restauration ou les services de nettoyage (2).
Les chercheurs observent dans le même temps une diffusion des formes d’organisation de la production au plus juste. Au cours des années récentes, l’industrie agroalimentaire elle-même a dû se plier aux nouveaux impératifs de flexibilité de la production et de surveillance de la qualité. En France, lors du passage aux 35 heures, les entreprises ont pu négocier des mesures de réorganisation du travail, allant dans le sens de la polyvalence. Divers scandales alimentaires (vache folle, poulet contaminé par la dioxine) poussaient dans le même temps au renforcement des normes de sécurité, se traduisant dans les ateliers par des tâches nouvelles de contrôle de la qualité. Bref, certaines composantes de la production au plus juste tendent à se diffuser dans des entreprises traditionnellement tayloriennes. Ce mode d’organisation se répand également dans des activités de service comme les centres d’appel ou l’hôtellerie. La sociologue Sylvie Monchatre s’est ainsi penchée sur un groupe hôtelier français, dont les établissements proposent un nouveau contrat à leurs personnels. Leurs perspectives de carrière seront d’autant plus ouvertes qu’ils rempliront les normes de qualité édictées par l’entreprise et accepteront de devenir polyvalents, c’est-à-dire de se former aux différents métiers de l’établissement (réception, service, entretien, etc.), offrant à l’entreprise plus de flexibilité pour faire face aux pics de fréquentation (3).
L’avancée des formes innovantes de travail
Mathieu Bunel et ses collaborateurs tentent de chiffrer précisément l’importance relative des différentes formes d’organisation du travail (5). S’appuyant sur l’enquête « Réponse du ministère du Travail », leurs données portent sur les entreprises marchandes de plus de 20 salariés. Elles excluent donc les très petites entreprises, mais également les salariés du secteur public, qui représentent un peu plus du cinquième de la population active (soit environ 6 millions de salariés). Leur étude n’en donne pas moins une indication quant à l’avancée des « formes innovantes de travail ». Les organisations tayloriennes emploient 25 % des salariés de l’échantillon étudié. Le modèle de la production au plus juste (lean production) concerne quant à lui 24 % des salariés. On apprend en revanche que 37 % d’entre eux travaillent dans des entreprises correspondant aux formes d’organisation des « entreprises apprenantes », bénéficiant de plus grandes marges d’autonomie et de moindres pressions temporelles. Le reste de l’effectif (14 %) est pour sa part employé dans des « organisations simples » caractérisées, selon les auteurs, par un rôle prépondérant du contrôle hiérarchique dans l’organisation du travail.
NOTES :
(1) Ève Caroli et Jérôme Gautier (dir.), Bas salaires et qualité de l’emploi : l’exception française ?, Rue d’Ulm/ENS, 2009.
(2) Pierre Veltz, Le Nouveau Monde industriel, Gallimard, 2008.
(3) Sylvie Monchatre, « Des carrières aux parcours… en passant par la compétence », Sociologie du travail, vol. XLIX, n° 4, octobre 2007.
(4) Jean-Pierre Durand, La Chaîne invisible. Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Seuil, 2004.
(5) Mathieu Bunel et al., « Formes d’organisation du travail et relations de travail », Centre d’études de l’emploi, document de travail n° 53, décembre 2008.
Une amélioration des conditions de travail ?
La cause semblait entendue : l’avènement d’un travail plus autonome, enrichi par la diversité des tâches et des responsabilités confiées aux salariés, devait aller de pair avec une amélioration des conditions de travail. De fait, des enquêtes comme celle de Christian Baudelot et Michel Gollac (1) donnent à voir des salariés en majorité satisfaits de leur travail. Certaines études épidémiologiques ont par ailleurs établi qu’une autonomie accrue favorisait la santé mentale des travailleurs et même la diminution de certaines pathologies physiques comme les TMS (troubles musculo-squelettiques) (2). Les sociologues ont cependant observé que la diffusion des nouvelles méthodes d’organisation était allée de pair avec une détérioration des conditions de travail. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis, entre 1985 et 1995 (3). En France, les enquêtes « Conditions de travail » livrent un même constat pour les années 1990. Ainsi, contre toute attente, la pénibilité physique s’est accrue pendant cette période. En 1998, plus de salariés déclaraient « rester longtemps dans une posture pénible », « porter des charges lourdes » ou « risquer d’être atteints par la projection ou la chute de matériaux », qu’en 1991 (l’enquête « Conditions de travail » de 2005 indique cependant une amélioration dans ces domaines). L’accroissement de la « charge mentale » (le stress lié à des responsabilités nouvelles par exemple), également sensible, n’est pas nécessairement perçu comme une évolution négative. Toutefois, par rapport à 1991, plus de salariés estimaient en 1998 « qu’une erreur dans leur travail pourrait entraîner une sanction à leur égard », qu’ils devaient souvent « abandonner une tâche pour en effectuer une autre imprévue » et que « cela perturb(ait) leur travail », ou que « pour effectuer correctement leur travail ils n’(avaient) pas un temps suffisant ».
Dans ce domaine, la tendance n’a fait que se renforcer entre 1998 et 2005. S’appuyant sur les résultats de l’enquête européenne sur les conditions de travail, l’économiste Antoine Valeyre montre cependant que les détériorations des conditions de travail sont surtout associées aux formes d’organisation qui font la part belle aux contraintes temporelles (4), soit la lean production et les organisations tayloriennes. Les « entreprises apprenantes » et les « organisations simples » ne subiraient pas la même montée de l’intensité du travail. Philippe Askenazy a observé de son côté qu’avec des réglementations appropriées et une véritable détermination des pouvoirs publics, les États-Unis sont parvenus à améliorer les conditions de travail et la santé des salariés, sans pour autant remettre en cause les méthodes de la production au plus juste (5).
NOTES :
(1) Christian Baudelot et Michel Gollac, Travailler pour être heureux. Le bonheur et le travail en France, Fayard, 2003.
(2) Michel Gollac et Serge Volkoff, Les Conditions de travail, La Découverte, coll. « Repères », 2e éd. 2007.
(3) Philippe Askenazy, Les Désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.
(4) Antoine Valeyre, « Les conditions de travail des salariés dans l’Union européenne à 15 selon les formes d’organisation », Travail et Emploi, n° 112, oct.-déc. 2007.
(5) Philippe Askenazy, op. cit.
Des spécificités nationales
Les salariés sont plus autonomes (« entreprises apprenantes ») en Scandinavie et aux Pays-Bas, et dans une moindre mesure en Allemagne et en Autriche, autant de pays où le taylorisme est plutôt rare. En Europe du Sud, le panorama est inverse : domination du taylorisme et faible présence des entreprises apprenantes. La production en flux tendu est le modèle d’organisation dominant en Angleterre, et dans une moindre mesure en Irlande et en Espagne, où il se combine avec le taylorisme. La France fait figure de moyen terme, combinant entreprises apprenantes, production en flux tendu et taylorisme.
Edward Lorenz et Antoine Valeyre, « Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne », Travail et Emploi, n° 102, avril-juin 2005.
Travailler dans le public
Les fonctionnaires et autres agents des services de l’État auraient la sécurité de l’emploi, mais la paieraient au prix fort : une vie au travail routinière, en tout cas beaucoup moins trépidante que celle du secteur privé. Voilà bien une image d’Épinal. Si l’on considère par exemple que disposer d’amples marges d’autonomie est synonyme d’un enrichissement du travail, alors il faut bien convenir que les agents de l’État ne se portent pas si mal que cela. C’est l’un des enseignements d’une étude récente sur l’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne (1). Les salariés du secteur public y déclarent dans une écrasante majorité jouir d’une ample autonomie dans leur travail, sur le plan des méthodes, du rythme de travail et de l’ordre des tâches. Environ les deux tiers des employés le disent dans les administrations publiques et dans le secteur de la santé, et 80 % dans le secteur éducatif. Plus de 80 % des agents de l’État déclarent également apprendre des choses nouvelles (c’est particulièrement le cas des enseignants) et devoir résoudre des problèmes dans leur travail. S’ils sont 37 % à réaliser des tâches monotones, ce pourcentage s’avère inférieur à celui des salariés du privé.
Étant moins exposés à la concurrence, les services de l’État auraient-ils moins d’incitation à importer les innovations organisationnelles venues du secteur privé ? Pas toujours. Le travail en équipe et la rotation des tâches sont très présents dans le secteur public, particulièrement dans le secteur de la santé (le système hospitalier en premier chef). De fait, certaines études de cas menées en France indiquent que la modernisation des services publics et des administrations a été l’occasion d’importer certains traits de la production au plus juste (polyvalence, polycompétence, adaptation fine des effectifs au nombre de clients). Cela a été le cas à La Poste, par exemple, où les agents d’accueil doivent connaître sur le bout des doigts toutes les formules d’envoi de l’entreprise, en adoptant une attitude plus commerciale et en maîtrisant les opérations financières de base, le tout sous la pression constante des clients (2).
NOTES :
(1) Antoine Valeyre et al., « Working conditions in the European Union: Work organisation », Eurofound, 2009.
(2) Fabienne Hanique, Le Sens du travail. Chronique de la modernisation au guichet, Érès, 2004.