En juin 2017, le gouvernement turc décide de retirer la théorie de l’évolution, jugée « trop complexe », de l’enseignement des collèges et lycées 1. La raison cachée est bien sûr tout autre : la théorie de l’évolution passe mal auprès des conservateurs musulmans. L’hostilité des religieux orthodoxes à Darwin n’est pas le propre de l’islam. Aux États-Unis aussi, les chrétiens créationnistes mènent bataille contre l’enseignement de la théorie de l’évolution. Ces offensives antidarwiniennes ne sont-elles qu’un nouvel épisode du conflit ancestral entre la religion et la science ? En réalité, l’attitude de l’islam et du christianisme vis-à-vis de la science a beaucoup changé au cours de histoire. Tous deux ont connu des phases obscurantistes, mais tous deux ont aussi couvé en leur sein les germes de la science.
Quand le pouvoir chrétien s’attaque aux savoirs païens
Après avoir été pendant trois siècles une religion minoritaire, le christianisme conquiert le pouvoir à Rome, lorsque l’empereur Constantin se converti en 313. Soixante ans plus tard, l’empereur Théodose fait du christianisme la religion officielle et unique. « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre », énonce l’édit de 380. La chasse aux païens est ouverte, s’attaquant autant aux religions orientales qu’aux philosophies grecques et aux savoirs anciens. Partout dans l’Empire, des temples sont détruits ou reconvertis en églises, des statues païennes sont démolies, des milliers de livres jugés hérétiques sont proscrits. À Alexandrie, une milice de fanatiques chrétiens saccage la grande bibliothèque et, en 415, Hypatie, la mathématicienne et astronome qui dirige l’école néoplatonicienne, est arrêtée, tuée et démembrée. Saint Augustin, futur père de l’Église, s’en prend aux « académiciens » qui professent le scepticisme 2 – c’est-à-dire l’esprit critique –, coupables selon le chrétien de semer le trouble dans les esprits. Dans La Cité de Dieu (413-426), il présente la soif de connaissance (libido sciendi) comme une forme de concupiscence, au même titre que le désir de la chair (libido sentiendi) ou la soif de pouvoir (lidibo dominandi). Il est des territoires du savoir dans lesquels l’intelligence ne doit pas chercher à trop s’aventurer. Seule la foi sauve les âmes.
L’empereur Justinien 3 poursuit la répression contre les idées non conformes. Par l’ordonnance de 529, il fait fermer les écoles d’Athènes. Un petit groupe de philosophes trouve alors refuge à Harran, en Perse.
Certes, tout le clergé chrétien n’est pas hostile à la pensée antique. Des échanges ont lieu entre philosophes et intellectuels chrétiens 4. Ils aboutissent notamment à une synthèse entre Platon et la Bible. Mais la part congrue réservée à la philosophie ou aux sciences durant les premiers siècles du christianisme ne peut exister que comme servante de la foi.