Une école pour faire société ?

L’école, en France, a longtemps été pensée comme le creuset de la nation. Dans une société fracturée par les inégalités et les divergences d’aspiration, a-t-elle encore les moyens de fédérer ?

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Ce soir, le réfectoire a des airs de fête. Tajines d’Algérie, riz afghan épicé au poulet, et autres galettes de pommes de terre mitonnées par les parents d’élèves exhalent leurs effluves… : c’est un véritable festin qui attend les convives du « repas du monde », organisé par cette école élémentaire parisienne classée Rep (Réseau d’éducation prioritaire) pour finir l’année en beauté. Des familles au grand complet attendent que les volontaires veuillent bien remplir leurs assiettes, avant d’aller s’asseoir dans la cour, sous les arbres. Quand leur français est trop hésitant, ce sont les enfants scolarisés en UP2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants), qui jouent les interprètes.

Les élèves sont fiers de faire découvrir leur école, le projet compost et les deux poules. Lorsque la sono crache ses premières notes, une petite bande se lance, guidée par deux enseignantes, dans une chorégraphie endiablée. Le directeur sourit : « Presque toutes les familles sont venues ! », se réjouit-il, dont certaines pour la première fois. Le travail de l’équipe éducative a payé. Le temps d’une soirée, les barrières sociales et culturelles semblent tombées, et ce vieux rêve d’une école unificatrice semble en passe de se concrétiser.

L’idéal républicain à l’épreuve

La France entretient des relations passionnelles avec son école, à qui elle a fixé la mission d’être le creuset de la nation. À partir de 1881, l’école publique et gratuite de Jules Ferry est un instrument essentiel de la construction de la jeune République. « Les enfants doivent connaître la France (...), son corps et son âme. Ils seront citoyens et devront savoir ce qu’est une démocratie libre », énonce en 1888 le député Jean Jaurès dans sa « Lettre aux instituteurs ». L’enseignement, fondé sur la science et la raison, entend gommer les particularismes régionaux et forger des citoyens éclairés et autonomes, délivrés du joug de la religion. L’historienne Suzanne Citron a également montré que l’école poursuit un rôle patriotique à travers l’exaltation d’une histoire nationale fantasmée qui plonge ses racines chez les Gaulois.

Un siècle et demi plus tard, l’imagerie de la IIIe République reste vivace, L’école conserve son rôle de garant de l’État et de la démocratie 1. Mais confrontée à de nombreux défis, est-elle toujours en mesure de fédérer la société française ?