Gaïa et la nouvelle version du vivant

Il est peu d’ouvrages qui portent en eux une nouvelle vision de la nature. Gaïa est de ceux-là. Longtemps marginalisé dans la communauté scientifique, il a connu un succès tardif lié à une nouvelle approche de l’évolution et met la solidarité au cœur du vivant.

C’est en 1979 qu’est parue la première édition de Gaïa. Son auteur, James Lovelock, est alors un chercheur atypique. Chimiste et biologiste de formation, sa spécialité est l’étude de l’atmosphère terrestre. Cette compétence lui a permis de mettre au point des détecteurs qui repèrent les minuscules molécules dans l’atmosphère. C’est grâce à un système de son invention que l’on a pu détecter la présence des CFC (gaz à effet de serre) qui s’attaquent à la couche d’ozone. Et c’est grâce aux brevets et contrats obtenus qu’il a pu mener son activité de chercheur indépendant, vivant dans sa campagne anglaise, à l’écart des laboratoires de recherches et des institutions scientifiques.

C’est en étudiant la composition de l’atmosphère que J. Lovelock a commencé à prendre conscience que les molécules chimiques ne sont pas indépendantes des êtres vivants. L’atmosphère a une histoire : elle s’est constituée au fil du temps, par adjonctions de molécules (oxygène, carbone, méthane…) dont une partie est reliée à l’activité des êtres vivant sur Terre.

Peu à peu, il se rend compte que les molécules présentes dans les différentes couches de l’atmosphère sont en échange permanent avec l’activité terrestre. Mieux : ces échanges constants finissent par s’équilibrer pour former un système qui a les capacités de s’autoréguler. La vie a besoin de l’atmosphère pour exister, en retour, l’atmosphère est entretenue par des productions des êtres vivants. Dans les années 1960, la théorie cybernétique et la théorie des systèmes sont en plein essor. Ne pourrait-on pas considérer, se demande J. Lovelock, que la terre, les océans, la biomasse et l’atmosphère forment une sorte de grand système gourverné par des dispositifs d’autorégulation ? Dans les années suivantes, il va tenter de donner crédit à cette idée.

Lors d’un colloque scientifique tenu en 1969 à Princeton, dans le New Jersey, J. Lovelock présente pour la première fois sa théorie. L’accueil des collègues est plutôt froid. Mais, parmi les chercheurs présents, se trouve une jeune biologiste de Boston, Lynn Margulis. Elle travaille justement sur les bactéries et s’intéresse aux premières formes de vie. Elle aussi défend une théorie peu orthodoxe : la théorie symbiotique de l’évolution. Une théorie qui prend alors le contre-pied des idées néodarwiniennes et qui mettra près de quarante ans à s’imposer dans le monde scientifique. (encadré ci-dessous). Entre les deux chercheurs débute alors une collaboration qui va s’avérer fructueuse.

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Durant les années 1970, J. Lovelock et L. Margulis publient des articles sur le rôle des premières bactéries dans la formation de l’atmosphère terrestre. L’idée centrale présente l’activité bactérienne comme indispensable pour rendre la vie habitable aux espèces animales apparues tardivement. Tout se passe donc comme si la vie terrestre entretenait un environnement « hospitalier » nécessaire à son existence. La biosphère et l’atmosphère entretiennent les mêmes relations que le jardinier et ses légumes. Chacun permet à l’autre de vivre : c’est ce que l’on nomme une relation symbiotique.

 

L’hypothèse Gaïa

C’est en 1979 que J. Lovelock publie son livre phare, Gaia. A new look at life on earth. Dès la préface, l’auteur présente son hypothèse : la surface terrestre, l’eau des océans, toute la matière vivante et l’air ne sont pas simplement en interaction : ils forment ensemble un système que l’on peut envisager comme un organisme unique. Cet organisme a le pouvoir de se réguler lui-même (1). Cette créature vivante, J. Lovelock propose de l’appeler Gaïa, du nom de la déesse-mère dans la mythologie grecque. L’idée lui a été soufflée par une amie. Cette image va valoir à son livre un succès inattendu. Nous sommes à la fin des années 1970, à un moment où le mouvement « New Age » (une nébuleuse mystique et ésotérique) est en plein essor. La théorie Gaïa semble donner du crédit scientifique à des spéculations mystiques et néopanthéistes, qui voient dans la Terre et le cosmos un « grand tout », animé d’une puissance vitale et sacrée qu’il faut respecter.