Quand arrive le dimanche soir, 50 % des Français ont le blues et passent une mauvaise nuit en songeant à la reprise du lendemain. Voilà ce que révèle une étude du groupe Monster (avril 2008) sur la « phobie du lundi » : 52 % des salariés français souffrent de troubles du sommeil dans la nuit du dimanche au lundi.
Le phénomène n’est pas spécifiquement français, ni même francophone. Belges, Suisses et Canadiens ne sont pas épargnés. Le phénomène est international. Le mal est même pire aux États-Unis ou en Grande-Bretagne où 70 % des salariés dorment mal le dimanche soir ! En Italie, en Espagne, ce n’est guère mieux : 50 % sont touchés. C’est dans les pays nordiques – Danemark et Norvège – que le trouble se révèle le moins grave : 30 % « seulement » sont affectés par la phobie du lundi.
Parmi eux, plus d’un a dû rêver de rester au fond de son lit, comme ce personnage antihéros d’une nouvelle de David Lodge : L’homme qui ne voulait plus se lever.
Que se passe-t-il ? Pourquoi tant de stress ? Comment en est-on arrivé là ?
D’abord le diagnostic. Le blues du dimanche soir n’est qu’un symptôme d’un malaise plus profond. L’avalanche de publications, articles, rapports sur le mal-être au travail est déjà en soit un signe révélateur. Lorsque Christophe Dejours, en 1980, publie Travail, usure mentale, l’ouvrage est remarqué mais reste encore isolé. En 1998, son Souffrance en France sera un best-seller. Puis la vague éditoriale va prendre de l’ampleur : Le Mal-Être au travail, Quand le travail rend fou, Le Harcèlement moral au travail, Souffrances, le coût du travail humain, etc. Depuis quelques années, cette déferlante de travaux consacrés à la souffrance au travail s’est muée en un véritable raz-de-marée.
Un mal-être pratiquement universel
Le stress est le premier révélateur de la souffrance au travail. Ses signes cliniques sont connus : sentiment de surcharge, fatigue chronique, angoisse et insomnie, idées noires, culpabilité, difficultés de concentration, palpitations, émotivité exacerbée, et souvent, en corollaire, consommation accrue de tabac et d’alcool, mal de dos, ulcère, troubles cardiovasculaires, envie de tout plaquer… Le stress trop intense peut entraîner des dépressions et mener au suicide. 30 % des salariés de l’Union européenne connaîtraient un niveau de stress trop élevé ; 28 % des cadres présenteraient un niveau de stress aigu (1).
Et le stress ne représente qu’une partie du problème : il n’est que l’une des facettes d’une souffrance au travail, qui recouvre un mal-être plus général. Il concerne le surmenage, la fatigue, le harcèlement, les troubles somatiques. Tout cela est rebaptisé « risques psychosociaux ». Ils ne cessent d’augmenter dans les pays occidentaux, ceci dans la plupart des professions.
Dans un rapport de février 2007, sur la santé et sécurité au travail, la Commission européenne souligne que la souffrance au travail est un problème prioritaire, et alerte sur l’ampleur grandissante du mal-être. « Les problèmes liés à une mauvaise santé mentale constituent la quatrième cause la plus fréquente d’incapacité au travail. L’OMS estime que, d’ici 2020, la dépression deviendra la principale cause d’incapacité de travail. » Fait nouveau, le stress touche toutes les catégories de personnels. Dans le secteur privé comme dans le secteur public. Chez les employés et ouvriers comme chez les cadres. Cette dernière catégorie est même particulièrement exposée (2).
Derrière les chiffres et les statistiques se nouent des drames humains plus ou moins graves. Parfois des dépressions sévères ou des troubles psychologiques ; parfois des crises subites comme celle de ce responsable de supermarché qui s’effondre tout à coup en larmes dans le bureau du médecin du travail ou de ce salarié qui « pète les plombs » en insultant son collègue de travail. Le plus souvent, heureusement, le mal se montre moins aigu, plus discret, plus intime. Ce sont de petits pincements au cœur, des nuits agitées, des colères rentrées, des moments de blues lorsque, le soir venu, on rentre du travail le ventre noué. La petite dramaturgie invisible de l’enseignant qui a peur de rentrer dans sa classe, du cadre infirmier qui n’a plus le goût du travail d’équipe, du chef de projet informatique qui rêve de devenir ébéniste ou tailleur de pierres.