Le métabolisme complexe des régimes autoritaires

Anatomie politique de la domination. Béatrice Hibou, La Découverte, 2011, 298 p., 24 €
Aussi autoritaire soit-il, l’exercice du pouvoir politique ne se nourrit pas que de la domination des citoyens. Ces derniers, à leur manière et toujours sous condition, peuvent en tirer parti et s’en approprier les effets.

« Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer », écrivait Étienne de La Boétie en 1576 dans son célèbre Discours de la servitude volontaire.

C’est au fond à la même interrogation que l’ouvrage de Béatrice Hibou tente de répondre, mais avec d’autres moyens que le simple exercice de la raison. Contre la tentation théoricienne, B. Hibou, s’inspirant de Max Weber, de Michel Foucault et de Paul Veyne, développe une démarche comparative large. Les exemples choisis sont éclectiques, souvent éloignés dans le temps et l’espace : la Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali, le Portugal de Antonio Salazar, la RDA, la Côte d’Ivoire et d’autres pays subsahariens. Mais cette hétérogénéité lui permet de sortir des perpétuels parallèles imposés entre nazisme et bolchevisme. Elle lui permet aussi de montrer que s’il existe des tendances universelles de l’exercice de la domination, elles se reflètent dans le banal, le quotidien et l’habituel des conduites sociales et économiques. Comme l’écrit B. Hibou, il existe « des chemins buissonniers de la domination », dont la fréquentation est plus fructueuse que celle des théoriciens du pouvoir et de l’oppression.

Écartant en effet les thèses trop simples qui font du pur usage de la force et de la corruption unilatérale le fondement de la domination politique, elle entreprend de décrire comment le pouvoir plus ou moins tyrannique des États fait son nid dans les sociétés contemporaines, qu’elles soient démocratiques ou non.

La notion même de domination y perd d’abord de son évidence. Certes, dans un régime autoritaire, a fortiori totalitaire, la violence et la peur sont les piliers de l’ordre politique. Cependant ce pouvoir n’est jamais absolu, et tous les rapports entre gouvernants et gouvernés ne se réduisent pas à des échanges de commandements et d’obéissances. S’il existe chez les citoyens une disposition à obéir, elle n’est pas le seul levier de la domination. S’y ajoutent celles que M. Weber appelait les « constellations d’intérêts ».