Révolution dans le vivant

Une révolution est en cours dans les sciences de la vie. 
Autour de mots obscurs – épigénèse, morphogenèse ou symbiose – 
se cache une vision nouvelle de la vie et de l’évolution. 
Qui a des conséquences majeures sur notre conception de l’humain.

Comment la nature s’y prend-elle pour fabriquer un être vivant : un éléphant, une rose, un papillon, un cerisier ou un être humain ? Pendant un demi-siècle, on a cru que la réponse tenait en trois lettres : ADN.

Chacun l’a appris à l’école, l’ADN est la longue molécule nichée au cœur du noyau de chaque cellule vivante, composée de milliers de gènes. Chaque gène porte une information qui commande la fabrication d’une protéine, celle-ci étant la substance de base de toute matière vivante : elle forme la chlorophylle des feuilles, les muscles de l’éléphant, les pigments colorés de la rose. L’ensemble des instructions codées sur chaque gène formait, du moins le pensait-on jusqu’à récemment, un « programme génétique ».

En décodant ce programme, inscrit sur la longue chaîne d’ADN, on allait donc parvenir à percer le langage de la vie. En attendant, on avait commencé à isoler ici ou là des gènes responsables de telle ou telle maladie, impliqué dans tel ou tel comportement, dans le langage ou la schizophrénie (et que l’on appelait un peu vite « le gène du langage » ou « le gène de la schizophrénie »).

Dans les années 1990, un grand projet – « Génome humain » – fut lancé dont le but était d’aboutir à une cartographie génétique complète de l’ADN. Des équipes se lancèrent dans la course, notamment un consortium public international qui entra en compétition avec la société privée Celera Genomics, dirigée par Craig Venter. Le 12 février 2001, C. Vender annonça avoir atteint le but. L’annonce du séquençage complet du génome humain fit les titres de la presse mondiale. Mais cette grande découverte était accompagnée d’une aussi grande surprise : le nombre de gènes humains était beaucoup plus réduit qu’on l’avait envisagé : 23 000 gènes seulement, soit quatre fois moins que ce que l’on avait imaginé. 23 000 : pour fixer les idées, c’est le nombre de mots contenus dans 40 pages de la revue que vous tenez entre les mains. Comment penser qu’un programme aussi complexe que la fabrication d’un être humain – yeux, oreilles, mains, système digestif, les centaines d’espèces de cellules différentes… – puisse tenir sur un aussi petit nombre de gènes ! L’étonnement toucha son comble quand on apprit que le nombre de gènes chez l’être humain est inférieur de moitié à celui du riz : 23 000 contre 50 000 gènes pour le riz ! Il y avait manifestement un problème.

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En fait, depuis quelques années déjà, les généticiens avaient pris conscience que le séquençage du génome n’ouvrait pas la voie au décodage du « programme génétique ». Pour la raison simple que ce dernier était un leurre (1).

 

La révolution épigénétique (2)

À la même époque, d’autres recherches étaient en train de changer la façon de penser la construction du vivant. Pendant que la course au séquençage battait son plein, biologistes et généticiens faisaient d’autres découvertes qui tournaient autour de notions et disciplines nouvelles : épigenèse, morphogenèse, embryogenèse et théorie évo-dévo. Celles-ci portaient une nouvelle conception de la vie. En même temps que l’on approfondissait la connaissance du génome (celui de l’humain, du riz, des carottes et des lapins), il apparaissait de plus en plus que les organismes ne sont pas construits à partir d’un seul programme contenu dans ses gènes. L’idée de programme génétique s’effondrait.