Qu'est-ce que l'économie ?

Libéraux, keynésiens, marxistes, institutionnalistes…, la diversité des courants de pensée en économie s’explique par la diversité des méthodes, des sujets d’étude, des questions posées, mais aussi par de forts enjeux idéologiques.

Un vieil homme compte son argent, assis à son bureau

© Domaine public

Sur quoi les économistes sont-ils d’accord ? Parmi eux, chacun sait que l’on trouve des libéraux partisans du libre marché et des keynésiens plutôt favorables à la régulation par l’État. Pour le profane (et même pour l’esprit un peu plus averti), l’existence de courants de pensée en économie a quelque chose de déroutant.

D’un côté, l’économie a tous les attributs d’une science : les équations, les démonstrations rigoureuses, les données chiffrées, les modèles abstraits. Depuis 1969, l’existence d’un prix Nobel – le seul dans le domaine des sciences sociales – vient même couronner l’entrée de l’économie dans le domaine des sciences dites « dures ».

Mais on sait aussi qu’il existe une multitude d’écoles au sein de la discipline : « néoclassique », « keynésienne », « monétariste », « régulationniste », et autres « institutionnaliste ». Si on conçoit bien l’existence d’écoles en peinture ou en littérature, comment l’admettre pour une science ? Les modèles abstraits ne dissimuleraient-ils pas des « chapelles » idéologiques ? Comment expliquer cette situation ?

  • La première explication est que l’économie est une « pseudo-science », qui se pare des attributs de la scientificité mais qui ne forme en fait qu’un assemblage de débats idéologiques et de connaissances douteuses.
  • Une deuxième explication, exactement inverse, est qu’il existe, sous l’écume des débats d’écoles – simples mouvements de surface –, une communauté de références et de connaissances : un même socle théorique partagé par l’immense majorité des économistes.
  • Une autre explication est encore possible. Si les économistes ne sont pas toujours d’accord entre eux, c’est que leurs modèles ne portent pas sur les mêmes objets, ne posent pas les mêmes questions et s’appuient sur des méthodes différentes. Dès lors, la diversité des points de vue reflète la différence de perspective. Et la variété des modèles n’est pas contradictoire avec la scientificité de chacun. Il n’est pas inconcevable qu’ils aient tous un peu raison puisqu’ils ne parlent pas de la même chose…

Les quatre familles de pensée

Au début des années 1980, on pouvait encore diviser les économistes en quatre grandes familles de pensée : les classiques (et néo-classiques), les keynésiens, les marxistes et les hétérodoxes.

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  • Les classiques (auteurs du 19e siècle) sont les tenants du libre-échange. Ils voient dans le marché à la fois le meilleur stimulant de la production et le meilleur moyen de répartir les produits. Leurs héritiers, les « néoclassiques », vont inventer une nouvelle façon d’envisager l’économie à partir d’un modèle d’équilibre général du marché.
  • Pour John M. Keynes (1883-1946) et les siens, le marché n’est pas ce modèle d’équilibre spontané et harmonieux que décrivent les classiques. Les keynésiens pensent en terme « macroéconomique » et admettent que le marché livré à lui-même peut générer des situations de chômage chronique et des crises. Enfin, ils avancent que l’État a un rôle à jouer dans la régulation du circuit économique.
  • Karl Marx et les marxistes ont introduit une critique beaucoup plus radicale du capitalisme. Les crises, les inégalités, la paupérisation et le chômage, loin d’être des failles passagères du système, en révèlent la nature profonde.
  • Les « hétérodoxes » forment un ensemble disparate. On a pris l’habitude de regrouper sous ce nom une pléiade d’économistes qui refusent de considérer l’économie comme un monde autonome, séparé du reste de la société et ayant ses lois propres. Pour eux, on ne peut penser l’économie sans y intégrer les formes d’organisation des entreprises, les relations de pouvoir, les conduites des groupes sociaux, les institutions, les normes et les valeurs d’une société.

Les nouveaux économistes

Voilà donc le portrait de famille des économistes tel qu’on le présentait, il y a encore peu de temps. Depuis deux décennies, une génération de « nouveaux » économistes a fait son entrée. On les appelle les « néo-classiques », les « néo-keynésiens » et les institutionnalistes.

Même si on manque de recul pour apprécier toutes les évolutions, quelques lignes de force se dégagent.

Les néo-classiques

Le courant néo-classique a d’abord eu le vent en poupe. Il s’est enrichi, diversifié et sophistiqué encore plus. On le présente souvent comme le courant dominant de l’économie contemporaine. Fondamentalement, la démarche – fondée sur la formalisation mathématique et le raisonnement déductif – reste la même.

Les soubassements théoriques ne changent pas : les agents économiques sont rationnels et ils cherchent à optimiser leurs gains. En revanche, le cadre d’application de la théorie s’est beaucoup étendu. Les néo-classiques ne raisonnent plus vraiment à partir du seul cadre d’un marché « pur et parfait » supposé équilibré. On a construit une infinité de modèles possibles : situation de monopoles, concurrence imparfaite, coûts de transaction, etc.

On reconnaît également que les agents économiques (consommateurs ou producteurs) ne sont pas toujours bien informés (économie de l’information), qu’ils agissent dans un environnement incertain (théorie des jeux), que les différents comportements de la firme dépendent de son organisation interne (économie de la firme), etc. Une infinité de ramifications théoriques a pris corps.

De plus, cette forme élargie de la théorie néo-classique a été appliquée à des comportements qui ne relèvent pas de l’économie stricto sensu : la famille, le crime, la politique…

Les keynésiens

Les keynésiens, après avoir subi une forte crise dans les années 1980, relèvent la tête depuis peu. Les « néo-keynésiens » conservent de J.M. Keynes deux principes majeurs : l’imperfection du marché et la nécessité de l’intervention de l’État.

Cependant, face aux failles théoriques mises au jour et à l’épuisement des politiques keynésiennes, ils ont dû se renouveler. Les néo-keynésiens ont intégré dans leur théorie de nombreux aspects de l’approche néo-classique (importance de l’offre et des anticipations rationnelles notamment).

Par exemple, ils accordent à l’État un rôle nouveau. Sa fonction n’est pas d’intervenir pour stimuler l’activité, mais plutôt pour créer un environnement favorable à la croissance (par la création d’infrastructures, l’aide à la formation, à l’innovation).

Les marxistes

Les marxistes ont quasiment disparu de la scène des idées économiques. Ils se sont joints aux hétérodoxes pour former une nouvelle constellation : celle des « socioéconomistes », parfois aussi appelés « institutionnalistes ». Pour la socioéconomie et ses différentes composantes (conventions, évolutionnisme, école de la régulation, institutionnalisme), on ne peut penser l’économie hors des relations sociales.

Par exemple, le marché du travail n’est pas (et ne doit pas être) réglé par les lois de l’offre et de la demande, supposées universelles, mais structuré par des normes, par des conventions et des règles produites par les acteurs sociaux.

Des débats internes

Évidemment, tous les économistes ne se reconnaissent pas dans l’une des trois familles (néoclassiques, néo-keynésiens, socioéconomistes). La présentation de l’économie sous forme de « courants de pensée » a tendance à radicaliser les positions et à créer des frontières étanches.

Et il ne faut pas négliger le fait que la controverse est source d’enrichissement, comme l’a largement montré l’histoire récente de la discipline, et que « d’importants progrès ont été réalisés en raison même de la vivacité des controverses théoriques » (J.-P. Fitoussi, « Préface » à B. Snowdon, H. Vane, P. Wynarczyk, La Pensée économique moderne, 1994).

Une science qui n’aurait pas de débats internes cesserait peut-être de vivre. De plus, il est vrai qu’aucun modèle n’est capable d’expliquer à lui seul toutes les données. La multiplicité des théories est peut-être la condition pour affronter les diverses facettes du réel.

Macroéconomie et microéconomie

En sciences économiques, il est d’usage de distinguer une approche « macro » et une approche « micro ».

La macroéconomie 

La macroéconomie étudie le fonctionnement d’ensemble de l’économie, à l’échelle d’une nation ou à l’échelle internationale. Elle raisonne en terme de circuit global intégrant l’État, les ménages, la monnaie…

À l’inverse, la « microéconomie » part des unités élémentaires (« microscopiques ») de l’économie, le consommateur et le producteur, pour modéliser des situations de marché. Depuis quelques années, les frontières entre macro et microéconomie tendent cependant à être moins tranchées.

On peut considérer que l’histoire débute avec le tableau économique de François Quesnay (1694-1774), médecin du roi et fondateur de l’école des « philosophes économistes ». Il envisage le premier l’économie nationale comme un « organisme » où les biens se produisent et s’échangent entre les différents organes du corps social que sont les classes (paysans, commerçants, industriels, propriétaires).

La macroéconomie moderne est associée au keynésianisme. John M. Keynes (1883-1946) introduit la notion de « circuit économique ». Elle est associée à l’idée qu’une politique économique peut parvenir à agir sur la croissance ou maîtriser le chômage ou l’inflation par l’action de l’État sur certains leviers : la politique monétaire, budgétaire ou les politiques industrielles.

L’approche macroéconomique a conduit à forger de grands modèles économétriques. Ce sont des modèles mathématiques – sortes de machinerie comptable – qui simulent les relations entre grands paramètres (investissement, consommation, épargne, balance commerciale, PIB) et, à partir de là, tentent de faire des prévisions à moyen terme sur l’activité économique d’un pays.

Ce sont d’énormes machineries mathématiques, faites de centaines d’équations, qui modélisent les relations entre plusieurs variables. Un des modèles économétriques les plus connus est le MPS (MIT of Pennsylvania – Social Science Research Council, 1974) réalisé aux États-Unis sous la direction de Franco Modigliani et Albert Ando.

À partir des années 1970, l’approche macroéconomique associée au keynésianisme est entrée en relatif déclin. Alors même que les politiques keynésiennes semblent inopérantes face à l’ouverture des marchés nationaux, on constate un épuisement des théories du même nom.

Pourtant, à partir des années 1990, une nouvelle macroéconomie émerge. L’approche macroéconomique est revitalisée par l’essor de trois courants de pensée : les néo-classiques (qui abordent les phénomènes macroéconomiques à partir des hypothèses de la microéconomie et des anticipations rationnelles), la génération des « néo-keynésiens » et les nouvelles théories de la croissance.

La microéconomie

La microéconomie est une économie de Robinson, où quelques acteurs jugés rationnels se rencontrent sur un petit marché pour échanger des biens en fonction de leurs intérêts réciproques. En assignant à chacun des biens une valeur (mesurant l’intensité de l’« utilité attendue »), on espère trouver les conditions mathématiques d’équilibre où la demande s’égalise à l’offre et où chacun repart heureux de la transaction.

L’espoir qui anime les fondateurs de la microéconomie est de réussir à construire un modèle mathématique qui épouse la réalité du marché. À partir d’un modèle mathématique plus ou moins sophistiqué, on espère parvenir à mettre le monde marchand en équation.

L’histoire de la microéconomie peut se résumer en trois temps.

  1. Dans les années 1870, les économistes néoclassiques se proposent de faire de l’économie une « science pure », construite sur des modèles théoriques concernant le comportement du consommateur et du producteur ainsi que le mécanisme d’équilibre des prix.

    Les fondateurs de la microéconomie furent les marginalistes Stanley Jevons (1835-1882) et Carl Menger (1840-1921), Léon Walras (1834-1910), Vifredo Pareto (1848-1923)…

    Au départ, les fondateurs de la microéconomie partent d’un modèle simple : quelques offreurs, quelques demandeurs et un seul bien. Puis les chercheurs vont tenter d’établir un modèle d’équilibre général de plusieurs marchés coordonnés, c’est-à-dire comportant une pluralité de biens (où on peut préférer les pommes aux poires, où on peut prendre le bus plutôt que d’acheter une voiture).

  2. Ce modèle sera peu à peu mis au point par des chercheurs comme John R. Hicks ou Paul Samuelson, dans les années 1930 et 1940, puis Kenneth Arrow, Gérard Debreu, Maurice Allais, dans les années 1950.

    La performance mathématique est notable. Mais on constate que, dans un tel modèle, l’équilibre de marché n’est obtenu qu’au prix d’hypothèses très restrictives (une infinité d’offreurs, d’acheteurs capables, une connaissance parfaite de la qualité des produits par les protagonistes, la possibilité pour le consommateur de comparer tous les prix…) correspondant assez peu au monde que l’on rencontre dans l’économie réelle.

    Dans le monde réel du marché, si une personne veut investir et hésite entre acheter un appartement ou des actions, elle ne peut pas savoir comment va évoluer le marché, lequel des deux choix sera le plus profitable. Elle doit donc agir en situation d’incertitude. Le modèle du marché suppose une connaissance parfaite des produits achetés ou que le vendeur ait donné toutes les informations sur son produit. Mais ce n’est pas toujours le cas. Le vendeur d’une voiture d’occasion a par exemple intérêt à dissimuler des défauts.

  3. À partir des années 1970, les économistes vont tenter de construire des modèles théoriques qui prennent en compte l’incertitude du consommateur, l’absence de concurrence… En s’appuyant sur de nouveaux modèles mathématiques, dont la théorie des jeux, une nouvelle microéconomie apparaît alors.

    Elle prend en compte les situations de concurrence imparfaite (monopole, duopole, marchés contestables, asymétrie d’informations, etc.). Plusieurs champs de recherche très prolifiques vont alors se déployer : théorie des contrats, théories des droits de propriété, théories de la firme, économie de l’information, etc. La démarche microéconomique va s’étendre à de nouveaux domaines comme l’analyse de la vie politique (avec James M. Buchanan) ou la famille (avec Gary Becker). Enfin, pour couronner son empire sur la science économique, la microéconomie tentera par ailleurs de proposer des fondements nouveaux pour penser les phénomènes macroéconomiques (Robert Lucas).